L’industrie automobile en 2025

Photo David Allard / Directeur de l'open innovation et de la recherche avancée, PSA - Asia Business Unit / October 17th, 2015

Les constructeurs automobiles sont confrontés à quatre changements, qui vont modifier complètement l'expérience associée à l'automobile dans les années à venir. Ces quatre nouveautés, provenant de l'électronique grand public, sont la connectivité, l'intelligence artificielle, les capteurs et les interfaces homme-machine. Chacun de ces quatre facteurs de perturbation, pris séparément, est en soi une puissante vague d'innovation. Combinés, ils redéfinissent complètement le secteur.

Nous nous habituons si vite au progrès technologique et qu’il est aisé d’oublier ce qui se passait il y a quelques années. Nous avons tendance à négliger les progrès considérables qui ont donné naissance aux produits et services que nous utilisons chaque jour. Rappelons-nous : il y a quelques années à peine, pour acheter de la musique, il fallait se rendre dans un magasin, choisir un CD et le ramener à la maison pour l’écouter. C’est aujourd’hui une expérience très différente.

Cette règle s’applique à tous les secteurs et l’industrie automobile ne fait pas exception. Depuis la première voiture produite en masse, la Ford T, les véhicules ont évolué, d’une façon incrémentale, génération après génération. Ces évolutions ont porté sur un large éventail de domaines, comme l’électronique, la mécanique, les nouveaux matériaux et composants. Afin de répondre aux attentes de leurs clients, les constructeurs ont pris l’habitude d’intégrer progressivement de nouvelles fonctionnalités dans leurs modèles, en surfant sur les dernières vagues d’innovation.

Or, dans les prochaines années, des vagues de plus en plus grosses vont déferler, ce qui conduira les constructeurs automobiles à se réinventer. Quels seront les fondamentaux du métier en 2025 ?

Avis de tempête?
Il y avait des centaines de constructeurs en 1950. Il n’en reste aujourd’hui qu’une douzaine ; les autres ont soit disparu, soit fusionné. C’est le résultat des deux principaux moteurs de la pression concurrentielle dans l’industrie automobile : la qualité et la quantité.

Les constructeurs automobiles, quelle que soit la dextérité dont ils font preuve pour lancer chaque année de nouveaux véhicules bourrés d’innovation, concentrent leurs efforts sur la production de voitures fiables, en grande quantité, et à un prix raisonnable. Par conséquent, l’échelle est le principal facteur de réussite : elle permet des gains de qualité substantiels tout en maintenant ou en réduisant les coûts. Dans l’ensemble, la qualité des voitures vendues s’est constamment améliorée. Pour être en mesure d’offrir des véhicules toujours plus sophistiqués à un prix raisonnable, et pour amortir les lourds investissements industriels et les coûts de R&D impliqués, les constructeurs doivent produire en grande quantité. Qualité et la quantité se complètent dans un cercle vertueux.

Pour atteindre les objectifs de qualité et de quantité (véhicules assemblés sur la base de plateformes communes, moteurs et composants de haute qualité, à faible coût, réutilisés sur plusieurs modèles, qui permettent d’accroître la fiabilité des voitures), les constructeurs automobiles doivent s’appuyer sur des processus de développement très rigoureux. Ces process permettent la quantité et la qualité en standardisant non seulement le processus de production, mais aussi les fonctions recherche, développement et achats. En permettant la réutilisation des modules et composants similaires à travers des marques et modèles différents, ces process ont été pour l’automobile des années 1990 ce que le fordisme et les lignes de production avaient été pour celle des années 1930 : la pierre angulaire du succès ; le pilier de l’ensemble de l’entreprise.

C’est ce que nous pourrions appeller le modèle « poids lourd », en référence à l’haltérophilie : les constructeurs automobiles excellent dans la production de grandes quantités de voitures de qualité grâce à l’utilisation systématique des process.

Quand les industriels se font magiciens
Les constructeurs automobiles sont confrontés à quatre changements, qui vont modifier complètement l’expérience associée à l’automobile dans les années à venir. Ces quatre nouveautés, provenant de l’électronique grand public, sont la connectivité, l’intelligence artificielle, les capteurs et les interfaces homme-machine. Chacun de ces quatre facteurs de perturbation, pris séparément, est en soi une puissante vague d’innovation. Combinés, ils redéfinissent complètement le secteur.

Des capteurs bon marché, petits, légers et fiables
Vous rappelez-vous les appareils-photos que vous traîniez avec vous chaque été pour ramener quelques images de vos vacances ? Cette époque est finie. Les capteurs sont aujourd’hui si petits, légers et bon marché que n’importe quel smartphone d’entrée de gamme fait des photos de très bonne qualité.

Sans surprise, les capteurs ont maintenant envahi les voitures, et les prochaines générations d’automobiles en comprendront des dizaines pour soutenir les systèmes d’assistance à la conduite qui aboutiront à l’émergence de véhicules complètement autonomes. Dans les prochaines années arriveront de nouveaux types de capteurs, mesurant par exemple les vibrations, les intempéries ou la pollution, pour n’en citer que quelques-uns. La vague d’innovation de l’électronique grand public précède celle de l’innovation automobile, et elle apporte avec elle des économies d’échelle qui abaissent les coûts et augmentent les volumes.

Des interfaces homme-machine innovantes et conviviales
Les écrans tactiles ont envahi le poste de pilotage, mais ils ne sont pas vraiment adaptés pour une utilisation sûre dans un contexte de conduite. Nous pouvons attendre davantage des commandes par la voix et, dans une moindre mesure, le geste. Cela devrait accroître l’autonomie du conducteur et le nombre de tâches qu’il peut effectuer en conduisant. Certes, il ne faut pas espérer pouvoir regarder la télévision en toute sécurité en conduisant, mais des tâches de routine telles qu’effectuer ou recevoir un appel téléphonique ou réserver une place de stationnement sont déjà généralisés ou en passe de l’être.

L’intelligence artificielle
L’intelligence artificielle va devenir omniprésente dans les véhicules. L’application Waze (rachetée par Google) propose déjà de l’intelligence à ses utilisateurs en analysant leur historique de conduite et en formulant des suggestions à partir de leurs habitudes. Elle peut identifier automatiquement des destinations fréquentes, telles que le travail, la maison, l’école, etc. Nous pouvons attendre bien davantage encore dans les années à venir. Vous êtes fatigué après quelques heures de conduite ? Pas besoin de vous inquiéter, votre voiture vous offrira un coupon chez Starbucks !

La connectivité
La connectivité va devenir obligatoire sur les voitures. En Europe, une réglementation oblige déjà les véhicules neufs à être dotés d’une carte SIM 2G. Les promesses de la conduite assistée, puis du véhicule autonome encourageront tous les constructeurs automobiles à intégrer la connectivité sur tous les véhicules.

Pour les clients, les avantages de cette quadruple révolution s’appuient sur l’interactivité : grâce aux capteurs (par exemple, un appareil photo tourné vers le conducteur), une voiture peut percevoir et collecter des données sur l’attitude, les besoins ou l’état physique du conducteur. À l’aide de l’intelligence artificielle, elle peut analyser les données sur le conducteur et sur son environnement. Par le biais des interfaces homme-machine avancées, elle peut interagir avec le conducteur ; grâce à la connectivité, elle peut interagir avec le monde extérieur. Des interactions et des expériences utilisateur complètement nouvelles deviennent possibles.

Les constructeurs automobiles deviennent des magiciens et leurs compétences en haltérophilie (produire en grande quantité des voitures de haute qualité) deviennent une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour réussir. Elles restent nécessaires, parce que le modèle traditionnel de fabrication des voitures reste le même. Elles sont insuffisantes, car les clients attendront de leur voiture qu’elle leur offre de nouvelles fonctions.

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Source: David Allard

En se transformant en magiciens, les constructeurs automobiles devront maîtriser des compétences nouvelles, dont la plus importante sera d’apprendre à concevoir des voitures autour de l’expérience utilisateur. Là où la conception d’une voiture traditionnelle se réduit à offrir un bon produit, le constructeur automobile devenu magicien doit se concentrer sur les habitudes et les besoins de l’utilisateur avant, pendant et après le voyage, afin d’intégrer des fonctions interactives qui rendront ce voyage plus simple, moins stressant et plus divertissant.

Dans la phase « magicien », les équipes de conception dépendent encore de solides processus bien établis, mais un large éventail de nouvelles compétences devient nécessaire pour réussir : la conception de l’interface, la connectivité et l’informatique, une bonne compréhension de l’expérience utilisateur et de l’ergonomie. Ces disciplines exigent de la vitesse, de l’agilité, et une ouverture aux innovations issues d’autres secteurs industriels. Elles impliquent généralement aussi des approches itératives de type test-and-learn pour la conception des produits, des modes de management moins centralisés que le « top-down » traditionnel et des hiérarchies plus plates afin de permettre à l’information de circuler rapidement dans toute l’organisation.

La phase « génie » : une industrie qui doit redéfinir son objet
À mesure que les capteurs externes et les algorithmes qui analysent les informations deviendront de plus en plus fiables, l’automatisation des véhicules deviendra une réalité, et la possession d’une voiture ne sera plus qu’une option parmi d’autres. L’industrie automobile, qui a toujours été axée sur les produits, sera orientée service. Cela aura des conséquences considérables.

Le constructeur automobile d’aujourd’hui fournit des produits de haute qualité et bien conçus ; le constructeur automobile de la phase « magicien » qui s’amorce fournit une expérience de grande qualité ; le constructeur de génie offrira un service de mobilité omniprésent, à tout moment, en tout lieu.

La mobilité n’est pas un service comme les autres : il s’agit de transporter une personne d’un endroit à l’autre dans les plus brefs délais. Considérant que la plupart des fournisseurs de services (disons, une salle de cinéma, ou un salon de coiffure) offrent leurs services dans un emplacement dédié, à des moments précis d’une journée donnée, et qu’ils peuvent donc se permettre de se concentrer sur le confort et le plaisir de l’expérience globale, un fournisseur de mobilité doit avant tout prendre une personne d’un point A à un point B dans les plus brefs délais. Il lui faut être présent partout, ce qui exige une certaine échelle. Pour un constructeur automobile, être un « génie » consistera à être en mesure d’offrir à ses clients un trajet en voiture n’importe quand et n’importe où.

Cette phase est clairement la plus difficile à mettre en œuvre pour les constructeurs automobiles, car elle les oblige à réinventer non seulement la façon dont ils conçoivent les voitures, mais la position qu’ils occupent dans la chaîne de valeur. Elle interroge également leurs avantages concurrentiels stratégiques de base : les facteurs de réussite passeront de la conception des produits (intégration des fonctionnalités dans un bien convivial, bien présenté, agréable à utiliser) à la conception de services (le temps et le lieu étant les deux principaux paramètres) ; de la production de masse (effet de volume) au service de masse (effet de réseau) ; de l’acier et de l’électronique (les principaux composants d’une voiture) aux cartes et à l’informatique (éléments clés d’une flotte de véhicules autonomes).

Cette nouvelle phase sera la plus perturbatrice pour le secteur et confrontera les constructeurs à des exigences paradoxales : comment combiner l’héritage d’une société industrielle (taille, qualité, produit) avec les exigences nouvelles de l’âge d’internet et de la mobilité omniprésente (vitesse, créativité, flexibilité) ?

N’en doutons pas, les dix prochaines années seront une sacrée aventure pour l’industrie automobile.

Note des éditeurs. Cet article est paru à l’origine dans notre édition chinoise, publiée conjointement avec l’université Jiaotong de Shanghai, SJTU ParisTech Review.

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