La décision de la Chine, prise en 2010, de limiter la production et l'exportation de ses terres rares représente pour certains industriels un risque de production majeur. C'est tout particulièrement vrai pour les chimistes. Le responsable du département terres rares pour le groupe Rhodia s'est entretenu au printemps 2011 avec ParisTech Review.
Sans terres rares (*), pas d’iPod, pas d’écrans plasma ni LCD. Impossible de produire une voiture hybride ou électrique ; pas d’ampoules écologiques basse consommation. Les terres rares sont utilisées dans des applications technologiques et industrielles comme la catalyse pour le raffinage du pétrole en essence, les lasers de guidage pour des applications militaires, la radiographie médicale, la catalyse automobile pour le contrôle des émissions des véhicules essence et l’élimination des particules diesel, le polissage des écrans plats, ou les luminophores, en particulier le terbium utilisé dans les ampoules fluocompactes et les diodes électroluminescentes (LED). Certaines technologies en cours de développement demandent des terres rares, par exemple la supraconduction (yttrium) ou la réfrigération magnétique (gadolinium). Quant aux moteurs électriques, ils tourneront avec des aimants permanents fabriqués à partir de néodyme.
ParisTech Review : La difficulté à se procurer des terres rares est devenue un des freins les plus redoutés à la croissance des groupes industriels, en particulier dans le secteur de la chimie. Cette situation a été aggravée depuis 2010 par les restrictions chinoises à la fois à la production et à l’exportation. On évoque même un possible arrêt de l’exportation de certaines d’entres elles à l’horizon 2014-2015. La situation est elle stabilisée ou faut il craindre un durcissement des contraintes ?
Du Hua : Au printemps 2011, le marché des terres rares est toujours très dynamique, avec des prix élevés, ce qui indique que les problèmes d’approvisionnement perdurent. De mois en mois, l’évolution de la situation le confirme. La production annuelle mondiale de terres rares est d’environ 127.000 tonnes, à 95% en provenance de Chine. L’énorme gisement de Baiyan Obo, en Mongolie intérieure, explique le poids de la Chine, même s’il existe des terres rares dans beaucoup d’autres endroits du monde. En juillet 2010, le gouvernement chinois a beaucoup réduit les quotas d’exportation. Cette décision a naturellement eu des conséquences importantes sur toutes les applications industrielles en aval. Et même à l’intérieur de la Chine, y compris pour les entreprises chinoises, l’approvisionnement devient un problème sérieux. Les prix sont en forte augmentation.
Les terres rares engendrent des coûts qui pourraient finir par ébranler votre compétitivité de chimiste de spécialité. Comment comptez vos réagir ?
Compte tenu de notre spécialité, nous sommes pour nos clients des partenaires particulièrement stratégiques. Prenons l’exemple de l’oxyde de Cérium, utilisé dans les pots d’échappement qui diminuent les émissions nocives des moteurs Essence et Diesel. Depuis juillet 2010, son prix de marché a été multiplié par dix. Evidemment, il est inimaginable de geler les chaînes d’assemblage de l’industrie automobile à cause des problèmes de terres rares. Pour l’instant, nous avons été capables de négocier avec eux pour répartir entre nous cette hausse des coûts. L’oxyde de cérium, est aussi l’une des meilleures poudres connues pour le polissage du verre et on l’utilise aussi dans le revêtement des fours autonettoyants. Impossible de s’en passer pour l’instant.
Vous évoquez une multiplication des prix par dix. Mais si ces prix étaient multipliés par 100 ? Existe-t-il une limite au delà de laquelle votre activité n’aurait plus aucun sens économique, ni pour vous ni pour vos clients ?
Les prix semblent complètement hors de contrôle mais n’oublions pas que les perturbations sur l’offre de terres rares sont relativement récentes. Au bout du compte, le marché finira par s’autoréguler. De nouvelles mines vont ouvrir à travers le monde. Nous notons une activité intense dans ce secteur. Dans l’ouest de l’Australie, la compagnie Lynas va ouvrir une nouvelle mine au quatrième trimestre de 2011. Aux Etats-Unis, la mine de Mountain Pass, propriété de la société Molycorp Minerals dans le désert californien de Mojave, fermée au début des années 2000, est en train d’être réhabilitée et mise aux normes environnementales. Elle pourrait rouvrir en 2012 et commencer à produire 20 000 tonnes par an. La bonne nouvelle, comme vous voyez, c’est que les terres rares ne sont pas si rares que ça. Il y en a beaucoup à travers le monde. Ce qui était rare, c’est de les trouver dans des conditions où elles sont facilement exploitables et à prix un économiquement viable. Avec l’explosion des cours depuis un an, ces conditions vont exister de plus en plus.
Donc le monopole chinois va disparaître rapidement ?
Aujourd’hui, la Chine fournit 95 % des terres rares mondiales mais elle se passerait volontiers de ce pesant monopole. Certes, elle est partiellement responsable de cette situation puisqu’elle a longtemps écoulé ses terres rares à des prix si faibles qu’aucun concurrent ne pouvait survivre. Mais le gouvernement chinois juge cette situation insoutenable sur le long terme. Et déséquilibrée, puisque la Chine n’abrite pas plus de 30 % des réserves mondiales prouvées. Si la Chine continuait sur sa lancée actuelle – son industrie d’extraction a démarré en 1985 et avant, dans les années 80, c’était les Etats-Unis qui fournissaient environ la moitié de la production mondiale – elle risquerait de devenir elle même importatrice de terres rares d’ici 20 ou 30 ans, quand ses réserves seront épuisées. Et les dirigeants chinois le savent très bien. Voici la principale raison derrière la réduction des quotas d’exportation. La seconde raison, c’est l’impact sur l’environnement que le gouvernement chinois veut absolument réduire. La Chine comprend plus que n’importe quel autre pays à quel point la technique de séparation à l’aide d’acide finit par contaminer le sol sur de grandes étendues, condamnant des terrains qui ne peuvent plus être régénérés.
Pour un groupe de chimie de spécialité comme le vôtre, n’y aurait il pas intérêt à posséder vos propres capacités de production de terres rares, de manière à absorber les variations de prix, voire à en profiter ?
Non, nous occupons une place bien précise dans la chaîne de valeur des terres rares. Gérer des mines est une activité radicalement différente. Notre objectif est de garantir notre approvisionnement en oxydes de terres rares, que nous utilisons pour mettre au point les formules à base de terres rares demandées par nos clients. Sur, en priorité, deux marchés : l’activité catalytique dans l’automobile et les luminophores à base de terres rares pour les éclairages à forte efficacité énergétique, un créneau sur lequel nous sommes à l’échelle mondiale, un acteur majeur.
Les restrictions croissantes d’accès provoquent une inquiétude d’autant plus forte que les produits de substitution sont très rares et peu satisfaisants. On sait par exemple que le néodyme peut être substitué au praséodyme, et que les aimants ferrites peuvent remplacer les aimants permanents au néodyme, mais que faire quand la substitution n’est pas envisageable ?
Nous avons choisi de nous épargner les interrogations sur la substitution. Rhodia a décidé d’adopter une approche très différente. Au lieu de chercher des produits de substitution, nous avons lancé un programme de recyclage des terres rares contenues dans les ampoules à économie d’énergie en fin de vie. C’est notre façon d’attester l’importance de cette ressource. Nous travaillons avec les experts du recyclage et avec nos clients. Sur les cinq continents, les quantités d’ampoules vont être considérables et la production correspondante devrait être substantielle. Nous lancerons notre premier projet au second semestre 2011, au prix de gros investissements.
Le recyclage peut-il vous permettre de résister aux nouveaux quotas chinois plus sévères ?
L’impact des quotas est significatif pour toutes nos activités, mais il varie en intensité en fonction des terres rares concernées. Les 17 terres rares connues se répartissent en effet en deux catégories : les lourdes et les légères. Les légères sont effectivement disponibles en grande quantité dans le monde. Pour les terres rares lourdes, compte tenu des projets miniers en cours, elles sont beaucoup plus « rares » et la Chine jouit dans cette catégorie d’un monopole réel. C’est ce qui rend notre initiative de recyclage d’autant plus précieuse car les ampoules à basse consommation en fin de vie contiennent beaucoup de terres rares lourdes, en particulier du terbium.
Pourrez vous tout recycler ?
Nous commençons par recycler les luminophores usagés. Mais à l’avenir, nous pourrons peut-être récupérer aussi les terres rares contenues dans les aimants ou dans les produits de polissage en fin de vie. Cette démarche de recyclage recèle un potentiel considérable.
La méthode du recyclage vous donnera accès à certaines terres rares mais pas à toutes. Certains goulots d’étranglement ne disparaîtront pas.
Dans les industries et les applications qui nous concernent, le recyclage des terres rares est possible. Donc, cette opération pourra couvrir une part croissante de nos besoins. Le reste, nous continuerons à l’acquérir auprès de groupes miniers.
Vous travaillez sur le recyclage tandis que certains de vos concurrents, plutôt plus nombreux, choisissent la voie de la substitution. Etes vous certains d’avoir fait le bon choix ?
Certains de nos concurrents, c’est exact, essayent de se passer des terres rares et tentent de trouver des solutions de substitution. A ce propos, veuillez observer que notre approche par le recyclage conduit à deux résultats positifs : elle participe à la réduction de la pression sur la ressource, mais elle nous permet surtout de garantir auprès de nos clients la stabilité de notre performance puisqu’il s’agit des mêmes terres rares. Avec une moindre quantité de terre rare, ils obtiennent la même qualité de produit. C’est moins radical, scientifiquement, que la substitution, mais c’est peut être plus efficace économiquement.
N’est ce pas inquiétant d’avoir raison tout seul ?
Patience ! Notre initiative est tout récente et avant 2010, il n’y avait aucune raison d’économiser ou de recycler les terres rares. Dans les différents segments où nous sommes actifs, nos concurrents ne semblent pas à ce stade reprendre notre démarche de recyclage. Ils restent sur une approche assez conventionnelle en se focalisant sur la recherche de nouveau fournisseurs.
Pourquoi avoir rejeté la voie de la substitution ?
Avec une substitution réussie, il y aurait élimination totale de la dépendance à l’égard d’une terre rare. Alors qu’avec le recyclage, je le concède, c’est une réduction partielle. Mais pourquoi investir dans l’élimination d’une ressource qui n’est finalement pas si rare et qui a donné des résultats exceptionnels ? Mieux vaut préserver cette ressource. Les terres rares jouissent de qualités uniques dont personne ne sait vraiment si elles sont imitables. La substitution reste un pari scientifique, et technologique, risqué. La recherche n’a pas encore débouché sur des résultats vraiment convaincants. Bref, éliminer le recours aux terres rares et maintenir le même niveau de performance, rien ne prouve que c’est possible.
On parle beaucoup de « peak-oil » ( le pic pétrolier), ce moment où la quantité de pétrole extractible commencera à diminuer pour finir par s’annuler tout à fait. Vous préparez vous à la fin des terres rares ?
Franchement, non. Car au delà du désordre actuel dans l’offre, quand vous ajoutez tous les projets miniers et les quantités correspondantes, cela fait une offre qui pourrait dépasser nettement la demande après 2015. Même si nous sommes bien conscients que tous les projets miniers que nous suivons n’ont pas le même potentiel de réussite.
(*) Les terres rares sont un groupe de métaux de 17 éléments (Scandium, yttrium, lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhéum, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium).
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Note des éditeurs : Rhodia est mécène de ParisTech Review
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