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Le monde est sur le point de connaître une nouvelle révolution technologique: "l'Internet des Objets". La possibilité de connecter des ordinateurs entre eux a changé beaucoup de choses dans nos vies ; l'interconnexion de plus en plus forte entre les objets - des voitures, des réseaux électriques et même des toilettes connectés à internet - pourrait générer d'autres évolutions non moins profondes. Beaucoup d'observateurs prédisent que ces changements auront un impact positif sur notre santé, nous permettront de mener une vie plus confortable et plus sûre. Mais comme toute nouvelle technologie, elle présente aussi certains risques.

Un homme du début des années 1990 propulsé dans notre époque serait frappé par les changements qui se sont produits dans notre manière de travailler, de jouer, d’acheter et communiquer, le tout grâce à internet. D’autres aspects de notre vie en revanche n’ont pas changé du tout.

L’électroménager que nous utilisons, par exemple, est resté pratiquement le même. Nos maisons n’ont pas beaucoup changé non plus, avec peut-être un écran de télé plus grand et un ordinateur plus compact. Nos moyens de transport sont aussi restés presque identiques, même si nos voitures fonctionnent aujourd’hui avec jusqu’à 100 millions de lignes de code et au moins 70 microprocesseurs. Globalement, internet est resté un réseau connectant des êtres humains.

Mais ceci devrait radicalement changer dans les prochaines années. Actuellement, environ 5 milliards d’appareils sont connectés à internet. D’ici à 2020, ce chiffre pourrait être multiplié par 10. Le PDG d’Ericsson a déclaré à ses actionnaires qu’il s’attendait à voir environ 50 milliards d’appareils connectés d’ici 2020. « Aujourd’hui il y a déjà des ordinateurs portables et des mobiles qui ont accès au réseau, mais dans le futur tout ce qui présentera un intérêt à être connecté le sera », a expliqué Hans Vestberg, PDG de l’entreprise.

De vaillants petits gadgets
Que pourront faire les machines pour nous demain qu’elles ne font pas déjà aujourd’hui ?

Certaines applications paraissent relever de la science-fiction mais sont en passe de devenir réalité – une « réalité augmentée », selon l’expression de certains enthousiastes. Par exemple, le navigateur Wikitude permet d’observer sur son smartphone un paysage urbain émaillé d’hyperliens ; ces liens flottants identifient les immeubles, taguent les noms de rue, permettent d’obtenir les critiques des restaurants et bien plus encore, en se basant sur le « monde » de données que l’utilisateur télécharge en documentation. A la géolocalisation se superpose un éventail d’informations tirées de Google Earth, Wikipedia, Booking.com et archINFORM, une base de données architecturale – tous les sites qui associent de l’information à un lieu. Wikitude est visiblement en phase de développement – sur un iPhone à Paris l’outil fonctionne seulement par à coups – mais comme pour internet en 1994, le système est clairement prometteur.

Une autre application, Wikitude Driver, propose un service similaire, mais pour les conducteurs. Cette dernière application pourrait cependant avoir une durée de vie plus courte : ce n’est, semble-t-il, qu’une question de temps avant que car les robots ne prennent le volant. Une équipe d’ingénieurs de Google a développé un pilote automatique pour voitures, en utilisant les mêmes données que Wikitude et la technologie de géolocalisation sous-jacente. A ce jour, les voitures sans pilote de Google ont parcouru plus de 225 000 kilomètres, dont les célèbre courbes de la Lombard Street à San Francisco et l’autoroute californienne qui borde le Pacifique. Pour l’instant, le plus gros défi pour la conduite sans conducteur semble relever davantage de la loi que de la technique : les plupart des autorités soutiennent qu’une voiture doit être conduite par un être humain.

D’autres éléments de ce nouvel univers sont déjà en action : les réseaux électriques intelligents qui enregistrent notre consommation ; les feux de circulation en réseau qui fonctionnent en dynamique, permettant d’optimiser le trafic au bénéfice du plus grand nombre ; les systèmes d’inventaires intelligents, qui s’assurent que le matériel hospitalier est toujours au bon endroit au bon moment. Ces systèmes de gestions de stocks utilisent les puces RFID, équivalentes à des codes barres mais fonctionnant avec des radiofréquences, qui peuvent être suivies à la trace, générant ainsi une sorte de « carte du maraudeur » bien réelle que ne renierait pas Harry Potter.

En se perfectionnant, les puces commencent à inclure des minuscules microprocesseurs, qui peuvent fournir pour inventaire non seulement un chiffre mais aussi un état des lieux qualitatif. Dans leur version la plus basique, ces capteurs seront capables de répondre à des questions sur leur état, explique Benn Konsynski, professeur en systèmes d’information et génie industriel à l’école de commerce Goizueta de l’Université d’Emory : « Où suis-je ? Comment je me porte ? Dans quel état suis-je ? Où voudrais-je aller ? » Bientôt, eux aussi seront capables de faire bien plus.

Les aficionados de la high-tech anticipent que ce type de systèmes intelligents embarqués permettra par exemple à des flacons de médicaments de signaler qu’ils ont été laissés trop longtemps dans un endroit trop chaud, à des toilettes d’analyser l’urine et d’appeler le médecin en cas d’anomalie, ou encore à des réfrigérateurs de surveiller leur propre consommation d’énergie et d’alerter le fabricant sur la nécessité d’une intervention de maintenance.

Ce type de technologie est aussi utilisé pour travailler sur des enjeux plus larges. Earth Networks, une entreprise basée à Germantown dans le Maryland et qui produit des services d’observation des phénomènes orageux et de la météo, travaille par exemple avec l’Institut océanographique Scripps de l’Université de Californie à San Diego sur le premier réseau mondial de capteurs atmosphériques permettant de surveiller les paramètres climatiques et la présence des gaz à effets de serre.

Bien sûr, comme pour toute évolution technologique majeure, l’Internet des Objets va entraîner beaucoup de changements, bons et mauvais.

Au-delà des gains globaux en termes d’efficacité qui devraient faire baisser les prix, les consommateurs doivent s’attendre à un changement dans leur relation avec les fabricants et vendeurs de leurs biens. Là où aujourd’hui le lien entre producteur et utilisateur s’arrête en général à la caisse, demain la technologie pourrait faire éclore de nouveaux types d’offres où, par exemple, le paiement se fait à l’usage et non à l’achat, avec un suivi permanent de l’utilisation accompagné de mises à jour. « Le point critique est le changement induit dans les pratiques commerciales : la propriété telle que définie par le contrat, la gouvernance, la sécurité, le respect de la vie privée », résume Konsynski.

Globalement, ces nouvelles technologies devraient engendrer des relations plus étroites entre acheteur et vendeur, et même, lorsque le suivi et la mise à jour en temps réel deviendra techniquement possible, brouiller la frontière entre les deux.

Après Big Brother, le règne des machines ?
Mais ces liens nouveaux pourraient avoir un prix, met en garde Andrea Matwyshyn, professeur de droit et d’éthique des affaires à Wharton, Université de Pennsylvanie.

Matwyshyn et d’autres chercheurs spécialistes des problématiques liées à la vie privée craignent en particulier que cette nouvelle possibilité de tracer les objets entraîne davantage d’intrusion de la part des entreprises et de l’Etat, réduisant drastiquement le périmètre de la sphère privée. Les possibilités de suivre et de communiquer en temps réel des informations très précises sur chacun d’entre nous augmentent et la possibilité pour les individus de contrôler cette information diminue, assure Matwyshyn. La société doit décider « si cette information peut ou non être collectée, partagée, exploitée, et si oui comment », affirme-t-elle.

Nous n’en sommes pas encore à vivre avec HAL, l’ordinateur de bord omniscient et malveillant de « 2001 : Odyssée de l’espace », mais certains chercheurs craignent que la quantité croissante d’information mise en réseau rogne sur les limites de notre intimité. « Ces zones que nous considérons naturellement comme privées peuvent très vite devenir perméables si l’on ne fixe pas avec soin un cadre général », affirme Matwyshyn.

Une porte que vous laissez ouverte ne le signale à personne aujourd’hui, explique-t-elle mais potentiellement, une porte connectée peut « informer votre compagnie d’électricité ou de gaz que vous êtes un utilisateur de porte négligent ». Peut-être que la compagnie vous en fera le reproche – ou peut-être partagera-t-elle l’information avec les autorités. « Vous êtes alors étiqueté « personne peu responsable, non soucieuse de l’environnement parce que la raison pour laquelle vous consommez plus d’énergie est votre négligence… et pas d’un défaut d’isolation qui ne relèverait pas de votre responsabilité, » conclut-elle.

Il est souvent dit que les systèmes technologiques reflètent en partie les attitudes idéologiques de leurs inventeurs. Si c’est le cas, le caractère intrinsèquement mondialisé de cette évolution technologique risque de mettre en difficulté les principes occidentaux de protection de la vie privée : le gouvernement chinois a fait du développement de l’Internet des Objets une priorité nationale de premier ordre. Le premier ministre Wen Jiabao l’évoque dans de nombreux discours et un centre de recherche de 170 000 mètres carrés vient d’ouvrir à Shanghai.

Ce qu’il reste à faire
Même dans le cas où les occidentaux et le reste du monde ne s’affrontent pas sur les problématiques de vie privée – il est vrai que lorsque les autorités chinoises parlent de l’Internet des objets ils se focalisent sur les applications logistiques, comme les bus ou les cartes d’assurance intelligents – d’autres défis existent.

A titre personnel, Stephan Haller, chercheur spécialiste de l’Internet des Objets à l’unité de recherche de SAP à Zürich et membre du groupe d’experts Chine-UE sur le sujet, relève encore plusieurs points problématiques.

D’abord, comment connecter des objets très différents, qui peuvent utiliser des protocoles de communication, c’est-à-dire des langages différents ? Jusqu’à présent, dans le développement d’internet, la plupart des appareils connectés sont des ordinateurs, qui utilisent le même protocole internet.

Ensuite, comment traitez-vous le problème des capteurs défaillants ? Comment les programmes qui s’appuient sur de multiples capteurs traitent-ils ceux qui renvoient des données incohérentes ? Comment déterminer qu’elles sont incohérentes en premier lieu ?

Enfin, qui est responsable en cas de défaillance ? La panne du programme de réveil de l’iPhone le 1er janvier n’était peut-être pas dramatique, mais d’éventuels problèmes au sein des systèmes en réseau du futur pourraient l’être. « Si soudainement une machine fait quelque chose qu’elle n’est pas sensée faire, qui est le responsable ? » interroge Haller.

Matwyshyn s’inquiète aussi des « interactions indésirables entre les éléments de ce système que nous sommes en train de construire ». Souvent, celles-ci n’apparaissent qu’une fois le système achevé, rappelle-t-elle. Un cas avéré : les « boîtes noires » de l’algotrading, qui représente aujourd’hui 70% du volume du marché, serait responsable de nombreuses irrégularités au cours des dernières années.

« Il y a parfois un excès d’enthousiasme au regard des capacités des nouvelles technologies que nous construisons », explique Matwyshyn. « Aussi fantastiques qu’elle soient, elles restent construites pas des humain pour des humains ».

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