Nous rêvons d'un monde prévisible, fait de recettes de cuisine. Mais ce n'est pas notre monde... et heureusement: quelle serait la place laissée pour l'innovation et la création de valeur dans un monde prévisible ? Mais comment faire dans le désordre croissant ? Peut-on diriger en s'appuyant sur l'incertitude au lieu de lutter contre elle ? La réponse paradoxale est d'oublier le présent et de penser à partir du futur, de privilégier la stabilité du management... et de comprendre que l'incertitude est avant tout source d'espoir !

Incertitude, peur et prévision…
Au cœur de la jungle, vous venez d’entendre un bruit dans les feuilles. Vous pensez que c’est un tigre et grimpez le plus vite possible au sommet de l’arbre voisin. De là, vous constatez que ce n’était que l’effet du vent : vous souriez de votre erreur et en êtes quitte pour une belle peur. Mais, si jamais, à l’inverse, vous aviez pris le bruit de la marche d’un tigre pour celui de l’effet du vent, vous n’existeriez plus ! Comme tous les survivants, vous êtes programmé pour voir des tigres derrière chaque mouvement de feuilles (voir Michael Shermer, The pattern behind self-deception).

Assis à votre bureau, vous êtes entouré par l’incertitude : quel que soit le journal que vous saisissez, la radio que vous écoutez, la télévision que vous regardez, ce ne sont que des prévisions démenties, des reprises qui n’arrivent pas, des catastrophes et des succès inattendus. Vous repensez aux impacts de la crise des subprimes, et à votre séjour imposé à Los Angeles à cause du nuage de cendres islandais. Pris de peur, certain qu’il y a un tigre derrière tout ce bruit, vous décidez de stopper tous les investissements et de déclencher un plan de survie.

Ah, si seulement, le monde était sécurisant comme celui des livres de cuisine, on connaitrait alors la liste des ingrédients à réunir et le mode opératoire pour obtenir à coup sûr un résultat connu à l’avance et conforme à la photographie affichée !

Dans Penser l’incertitude, Pierre Gonod, un proche d’Edgar Morin, a proposé une typologie de la prévision entre quatre catégories :
- « Type 1. Prévision à contenu déterministe, et quasi-mécaniste. C’est le domaine de la certitude. Il s’agit de processus dont les lois de transformations ou de mouvements sont connues et quantifiables. (…)
- Type 2. Prévision aléatoire, stochastique. Là aussi les lois de transformation sont connues ainsi que leurs équations conditionnelles. La connaissance des corrélations, des coefficients d’élasticité, permet de prédire les alternatives futures dans le temps avec leurs probabilités de réalisation. (…)
- Type 3. Certitude qualitative et incertitude quantitative. L’orientation des processus est connue mais ne peut être assortie d’un jeu de probabilités de leur réalisation. (…)
- Type 4. Incertitude qualitative et quantitative. Il est impossible de connaître les alternatives des futurs »

Si j’applique cette classification à la vie des entreprises, je constate un glissement :
- Il n’y a quasiment plus de situations de type 1 : la présence des boucles de rétroaction et la densité des interactions rendent rares les cas où l’on peut prévoir de façon certaine ce qui va se passer. En fait, ces situations ne se rencontrent que dans le très court terme.
- Le type 2 n’est plus que celui des prévisions à court terme, et singulièrement celui du budget : pendant longtemps, on a cru qu’à un horizon de trois à cinq ans, horizon classique pour la réflexion stratégique, on pouvait construire des scénarios d’évolution, les probabiliser et ainsi encadrer le futur. Il n’en est rien, au mieux on peut dessiner des possibles, mais on ne peut pas les probabiliser.
- Le type 3 est maintenant le type dominant, celui qui commence dès que l’on est sorti de ce futur proche dans lequel on peut prévoir ce qui peut arriver : c’est le monde des possibles. Je peux avoir une idée de ce qui est susceptible de se produire, élaguer en définissant des zones impossibles, préciser des chemins, mais je ne peux pas savoir lequel sera suivi, ni même le probabiliser. Au mieux, je peux éventuellement dire qu’un chemin est plus facile, et donc par là davantage possible qu’un autre.
- Le type 4 est celui du flou absolu : la réflexion n’a plus alors aucun point d’appui et rien ne peut même être pensé à l’avance. On ne peut que constater a posteriori ce qui s’est passé.

Faut-il alors renoncer à toute anticipation et se contenter de vivre au jour le jour comme on peut ? Faut-il s’abandonner aux forces instantanées pour en tirer parti ? Où va-t-on ? On verra bien, on ira là où on pourra.

Mais alors, faute de discours positifs, tout le monde va voir des tigres de partout ! Peut-on miser des milliards d’euros comme on joue au loto ? La stratégie doit-elle être jetée aux oubliettes du management moderne ?
Non, bien sûr, mais comment faire ?

La Seine sait-elle où elle va ?
Appuyé sur le rebord du pont Mirabeau, vous regardez couler la Seine et essayez de savoir où elle va. Impossible de trouver la bonne réponse ainsi. Alors, vous quittez le pont et commencez à suivre son cours. Comme, au hasard des méandres, elle tourne à droite, puis à gauche, vous allez rapidement jeter l’éponge en vous disant que la Seine n’en fait qu’à sa tête, qu’elle ne sait pas où elle va.

Or, en fait, elle le sait très bien : c’est un fleuve, et, comme tous les fleuves, elle est attirée par une mer ou un océan. Lequel ? Celui qui est déterminé par la logique des bassins versants. Donc où elle va, elle le sait. Comment exactement va-t-elle y aller ? Là, elle ne sait pas très bien, elle verra, elle s’adaptera. Elle avance et chemine, en tirant parti du terrain. Si jamais, le niveau d’eau monte, elle pourra même s’étaler plus largement et emprunter de nouvelles voies. Mais, ce qui ne changera pas, c’est que cette eau, c’est dans la mer qu’elle finira. Quels que soient les aléas du trajet, on peut d’ores et déjà prévoir où elle va aller ; ce que l’on ne sait pas, c’est le taux de perte par évaporation ou infiltration, le trajet précis et la durée.

Ainsi, si vous voulez comprendre où va la Seine, ne regardez pas ce qu’elle fait, mais prenez le temps de comprendre « qui elle est » et « qu’est-ce qui l’attire » : comprenez que c’est un fleuve, analysez les bassins versants et vous trouverez la bonne mer. Ne regardez pas le cours des choses, ne regardez pas le présent, cela ne sert à rien, cela ne peut que jeter le trouble : la mer est un attracteur qui attire à lui l’eau qui tombera tout autour. Comme les attracteurs des mathématiques du chaos, peu importe l’incertitude en amont, tout converge vers elle : c’est un système structurellement stable, un point fixe.

Quand une équipe de direction construit une stratégie en partant du présent, et imagine qu’elle va pouvoir prévoir où vont les choses en observant ce qui s’est passé et se passe aujourd’hui, elle fait la même erreur que celui qui cherchait à deviner où allait la Seine depuis le pont Mirabeau. Si elle prévoit le futur à partir du présent et croit qu’elle peut encadrer le taux d’erreur via des hypothèses hautes et basses, elle se trompe, car, comme dans les mathématiques du chaos, rien ne permet d’affirmer que l’on peut borner l’incertitude.

Pour savoir où va la Seine, il faut oublier le présent, identifier les mers qui attirent le cours des choses. Où sont-elles ces mers ? Quelque part dans le futur des fleuves…

Pour construire une stratégie, il en est de même.

Comment trouver sa mer ?
D’abord, en comprenant ce qu’est une mer : une mer est un besoin fondamental et stable qui, quels que soient les aléas, va structurer le fonctionnement de notre société à long terme, orienter les évolutions, et attirer vers lui les courants. Cela peut être un des éléments constitutifs de notre écosystème social, comme la beauté, la communication, les loisirs, le déplacement, l’alimentation, la sexualité… Ou encore un des composants indispensables au fonctionnement des processus comme la gestion des gaz, les déchets, l’énergie…

Plus le rattachement sera direct, plus l’attraction sera forte et stable, plus la mer profonde et vaste.

Vous trouvez mon propos bien général, peu opérationnel et trop vague ? C’est pourtant très exactement la réponse faite en juin 2009 par le PDG de Google (voir « Inside Google: Eric Schmidt, the man with all the answers ») : « Nous n’avons pas de plan à cinq ans, nous n’avons pas de plan à deux ans, nous n’avons pas de plan à un an. Nous avons une mission et une stratégie, et la mission est…, vous savez, d’organiser l’information du monde. Et la stratégie est de le faire à travers l’innovation. » Le choix fait par Google est bien une mer : quoiqu’il arrive, le besoin d’information existera toujours. L’innovation est, elle aussi, un moteur stable et durable : ce sont les technologies qui deviennent obsolètes, pas l’innovation.

De même lors du lancement de l’iPod en 2001, Steve Jobs dit : « Pourquoi la musique ? Nous aimons la musique et c’est toujours bon de faire quelque chose que l’on aime. Plus important, c’est une part de la vie de chacun. La musique a toujours été là et le sera toujours. Ce n’est pas un marché spéculatif ». On est bien loin des business plans détaillés truffés de chiffres, de prévisions et de tableurs excel !

Quand vous demandez à L’Oréal de définir sa stratégie, il va répondre la beauté de la femme, et plus récemment celle de l’homme. Il a précisé sa mer en ne s’intéressant pas à toute la beauté, mais à celle qui a trait à la peau, au cheveu et au parfum, mobilisant ainsi trois de nos cinq sens, la vue, le toucher et l’odorat. De même Nestlé avec la nutrition et la santé (mer aussi visée par Danone), Saint-Gobain avec l’habitat, ou Air Liquide avec la gestion des gaz.

Une fois une mer potentielle identifiée, reste à se poser une double question apparemment « simple »: quels sont les problèmes existants reliés à cette mer ? En quoi l’entreprise est-elle capable, mieux qu’une autre, d’apporter une solution originale à ce ou ces problèmes ?

Pourquoi ces deux questions sont-elles essentielles ? Parce que ce sont elles qui vont permettre de savoir que cette mer potentielle est bien une mer accessible à cette entreprise. Si vous répondez non ne serait-ce qu’à l’une des deux questions, un conseil, oubliez vite cette mer et passez à la suivante !

Comment évaluer en 1998 la rentabilité à dix ans d’un réseau 3G ?
Pour illustrer mon propos, voici un exemple tiré de mon expérience personnelle : en 1999, j’ai mené une étude pour évaluer la rentabilité à dix ans de la création éventuelle d’un réseau de téléphonie mobile 3G.

A ce moment-là, très peu de données étaient disponibles :
- Les performances réelles du 3G étaient incertaines, les téléphones à venir inconnus,
- Internet n’était que peu développé et seuls, quelques services existaient,
- Il était impossible de tester quoi que ce soit auprès de clients qui n’avaient aucune idée de ce dont on était en train de parler.

Comment faire ? Impossible de partir du présent : nous n’avions aucun référentiel, pas d’historique, pas d’année zéro. Rien. Le tableur était vide. Nous étions condamnés à prendre du recul pour repérer « où pouvaient être les bonnes mers », c’est-à-dire quels problèmes existants et durables pouvaient être résolus par ce nouveau réseau.

Pour le marché grand public, nous avons identifié qu’un téléphone connecté pouvait permettre de :
- Communiquer : entrer en contact avec une ou plusieurs autres personnes, simplement pour échanger, que ce soit par la voix, du texte, des images ou de la vidéo. Ceci correspond à un besoin constant de l’humanité, celui de rester connecté avec les membres de sa tribu (un être isolé dans la jungle est menacé)
- S’informer : enrichir une connaissance par l’acquisition d’informations. Ceci se relie à notre besoin de compréhension et à notre constante nécessité de nourrir nos interprétations (savoir plus pour survivre plus longtemps)
- Acheter : réaliser une transaction pour acquérir un bien. Bien sûr, ceci peut nécessiter une recherche d’information, voire une communication, mais pas nécessairement. De même que symétriquement, souvent on s’informe ou on échange sans acheter. L’achat, c’est-à-dire l’appropriation d’un bien, est aussi un besoin durable, celui de la conquête. (manger pour vivre)
- Jouer : se distraire, s’amuser, passer un moment. Nous avions inclus dans cette famille tout ce qui est musique et vidéo. C’est aussi une famille indépendante, même s’il peut y avoir des croisements (par exemple, pour le jeu en réseau, on va échanger). Inutile de rappeler le caractère essentiel du jeu dans le développement de l’humanité (le rire est le propre de l’homme)

Pour le marché entreprises, nous avons mené une réflexion du même type.

Ensuite, sur quoi allait-on regarder ? Quelle pourrait être la taille de l’écran ?

En faisant abstraction de toute technologie, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il y avait trois types de situation : soit je suis en train de marcher, soit je suis assis mais ailleurs que chez moi (par exemple dans un train ou une chambre d’hôtel), soit je suis chez moi (à mon domicile ou à mon bureau). Si je suis en train de marcher, l’écran doit tenir dans ma main ; si je suis assis ailleurs, comme j’ai dû l’apporter, il faut qu’il tienne dans un cartable ; si je suis chez moi, il n’y a aucune contrainte de taille. Donc trois formats : la main, A4 (ou à peu près), illimité. Comme ces trois types de situation existeront toujours, le raisonnement restera valable quoi qu’il arrive.

Nous avons alors croisé taille d’écran et famille de besoin en nous posant la question suivante : que peut apporter de plus le 3G, c’est-à-dire une connexion Internet toujours active et avec un débit significatif ?

Je ne peux pas rendre publiques les réponses données, mais elles ont permis ensuite une quantification, en émettant des hypothèses sur l’évolution des dépenses par famille d’attentes. A aucun moment, nous n’étions partis de la situation actuelle. Ce qui nous avait préoccupés, c’était la pertinence et la solidité de la vision : nous avions cherché à imaginer le futur.

Nous sommes aujourd’hui dix ans plus tard et quand j’observe tous les services lancés, y compris ceux de l’iPhone, ils se reclassent bien dans ces quatre familles. Comme quoi, c’étaient bien des mers. A noter que, même si l’expression de ces mers est aujourd’hui simple et compréhensible par tous, leur mise en évidence en 1999 n’a été ni rapide ni facile : comme j’aime souvent à le dire, on ne peut pas penser vite à long terme !

On ne peut pas diriger efficacement sans stabilité personnelle
Voilà donc un des grands paradoxes du monde de l’incertitude : il faut réfléchir à partir du futur, et non pas à partir du présent. Le présent est trompeur, les évolutions chaotiques et les courants imprévisibles. Le présent, notre présent, n’était pas inéluctable : dans le passé, il n’était pas qu’un des futurs possibles, et non pas un futur certain. Il n’est devenu notre présent qu’à cause de l’ensemble des choix faits, et du bricolage advenu. Du coup, il nous apparaît aujourd’hui comme certain, et donc inéluctable. Mais si le jeu avait été différent, le présent ne serait pas le même.

Aussi si, pleins d’a priori tirés du passé, conditionnés par nos habitudes, nos savoirs et nos expériences, nous pensons le futur à partir du présent, nous allons construire des lignes Maginot adaptées à la guerre passée et non pas à celle qui va venir, condamner l’industrie horlogère européenne sans imaginer la Swatch ou améliorer le clavier des téléphones portables sans lancer l’iPhone.

La solution est ailleurs, dans l’imagination et la compréhension de ce qui attire les mouvements, dans ces mers qui seront notre futur.

Or, plus les dirigeants changeront souvent d’entreprises, et les actionnaires seront volatils, plus les uns comme les autres voudront se protéger par des prévisions et des chiffres : ne pouvant comprendre en profondeur ce qui fait l’entreprise et ses marchés, n’ayant pas un accès personnel à son histoire, il leur sera difficile d’imaginer le futur. Dirigeants comme actionnaires croiront se protéger dans des tableaux et des certitudes, alors qu’ils ne sont que des lignes Maginot mentales.

Quelles sont les entreprises qui arrivent à créer de la valeur dans la durée ? Ce sont précisément celles qui ont une stabilité à la fois de leur management et de leur structure d’actionnaires. Situation qui est singulièrement celles des groupes familiaux : ils savent mieux éviter les modes, faire des paris gagnants sur le futur, s’y tenir et naviguer au mieux au jour le jour.

Ainsi, l’incertitude suppose la stabilité du management : la vie est faite d’ordre et de désordre, de yin et de yang. Être stable pour pouvoir se diriger et diriger. Être fort pour aimer l’incertitude, s’appuyer sur elle pour se renforcer.

Il n’y a pas d’espoir sans incertitude
Car il n’y a pas des tigres derrière tous les bruits, et cette incertitude qui nous entoure, n’est pas d’abord le témoignage de l’incomplétude de notre savoir, elle est le moteur de la vie et de la croissance du monde: c’est le flou qui permet à tous les sous-systèmes de s’ajuster. Pour encourager la vie, accroître les chances de survie et se rendre davantage résilient, il ne faut pas chercher à diminuer l’incertitude, mais au contraire à l’accroître. Lutter contre l’incertitude, c’est lutter contre la vie.

Si l’équipe de direction cherche à limiter l’incertitude, focalise son énergie sur la prévision, et s’organise par rapport à ce futur théorique, elle va contre la vie et fragilise son entreprise.

Si l’équipe de direction apprend à vivre avec l’incertitude et à s’en servir, centre ses efforts sur la compréhension en profondeur de la situation actuelle et des courants immédiats, et construit une stratégie résiliente originale, c’est-à-dire capable de s’adapter aux aléas et saisissant les nouvelles opportunités, elle va dans le sens de la vie, renforce son entreprise et créera durablement plus de valeur.

Enfin, si on y réfléchit bien, est-ce une si mauvaise nouvelle que de voir l’incertitude se propager de plus en plus ? Imaginons à l’inverse que nous allions vers un monde de plus en plus certain. Quelle y serait la place laissée à l’intelligence, au professionnalisme et à la créativité ? Comment une entreprise pourrait-elle s’y différencier des autres, puisque tout le monde pourrait tout prévoir ? Imaginez une partie où les cartes de chacun seraient posées sur la table et visibles de tous. Comment jouer et quel en serait l’intérêt ?

Aussi, arrêtons de voir partout des tigres et, à l’inverse de Jean-Paul Sartre qui écrivait dans Le Diable et le Bon Dieu, « Je préfère le désespoir à l’incertitude », comprenons qu’il n’y a pas d’espoir sans incertitude !

References

BOOKS
  • Les mers de l'incertitude : Diriger en lâchant prise
    Robert Branche
    List Price: EUR 19,50
  • Neuromanagement : Pour tirer parti des inconscients de l'entreprise
    Robert Branche
    List Price: EUR 19,50

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By the author

  • Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l’incertitudeon January 21st, 2011
  • http://www.dialogon.fr Jerome Lecoq

    Je trouve cet article très éclairant. Je me pose cependant une question. Les hommes étant ce qu’ils sont, ils ne sont pour la plupart pas prêts à lâcher-prise sur le présent pour envisager le futur. Il faut donc créer une secousse psychologique pour les faire sortir de leurs schémas mentaux habituels. Alors comment faire ?

  • http://www.facebook.com/robert.branche Robert Branche

    D’abord en étant conscient que le futur est à la fois attiré par ces mers, et en même temps que nous sommes plus libres de nos actes que nous le pensons : nous ne pouvons pas changer l’emplacement des mers mais nous pouvons choisir celle que nous voulons viser et comment la viser.
    Ensuite en développant un discours positif sur l’incertitude et en expliquant qu’elle est certes génératrice de peurs et d’inquiétude, mais qu’elle est d’abord la meilleure garante de nos libertés et de notre créativité.
    Enfin en poussant à ce que j’appelle une culture de la confrontation (ce point n’est pas présent dans cet article – il m’a fallu choisir ! – mais important dans mon livre) : en quelques mots, il s’agit de s’éviter entre soi et éviter le réel, ni passer au conflit (je veux la même chose que l’autre et nous sommes rivaux), mais de se confronter, cad accepter que le monde est fait de différences et trop complexe pour que le vrai soit unique et simple. Le “vrai” ne peut qu’être approché par confrontation des points de vue de personnes ou systèmes qui poursuivent un objectif commun (et non pas en compétition) et ne sont pas d’accord sur la façon de l’atteindre.

  • Pingback: Tweets that mention Réfléchir à partir du futur pour se diriger dans l'incertitude | ParisTech Review -- Topsy.com

  • Laurent

    Merci pour cet article très intéressant. Tout en adhérant globalement à ces propos, je me demande s’il ne serait pas utile de distinguer différents cas d’incertitude. Jusqu’à un certain degré, l’incertitude peut en effet être plus source d’opportunités que limitation de notre action. Mais au-delà d’un certain degré, l’incertitude – et la conscience des risques qui l’accompagne généralement – empêche l’action et la décision, déclenche des pseudo-réflexes de repli individualiste et limite en cela l’action conjointe, voire la menace très directement. Tout le monde n’a pas la capacité d’affronter tous les risques que l’incertitude laisse planer. Toutes les entreprises n’ont pas les milliards d’Apple lorsque cette compagnie décide de lancer l’iPod, véritable tournant pour ce fabricant de machines et de logiciels. Tous les industriels n’ont pas la formidable machine à cash que Google a mis en place et qui lui permet d’affronter toutes les mers, y compris les plus agitées. J’ai donc l’impression que nous pouvons effectivement profiter de l’incertitude plutôt que la craindre, mais uniquement jusqu’à un certain niveau.

  • http://www.facebook.com/robert.branche Robert Branche

    Merci pour votre commentaire.
    Oui il y a des degrés dans l’incertitude. Mais mon propos est qu’il ne sert à rien de la nier, ou penser pouvoir l’enfermer dans des tableurs excel. Il n’y a pas d’autre choix dans ces cas-là que d’y faire face, et ceci avec les ressources et les savoir-faire de l’entreprise. Ceci n’est pas qu’une affaire de milliards, c’est beaucoup une affaire d’attitude, de culture interne et d’organisation.
    Ce sont tous ces points que je développe dans mon livre “les mers de l’incertitude”

  • Patrick Darmon

    Voilà un article à la fois intelligent et rafraichissant. L’auteur y traite à la fois de considérations générales et pratiques sur l’incertitude, la prospective et la capacité de prévision. Tout en souscrivant avec la philosophie générale de l’article, il me semble nécessaire de soulever trois points de désaccord qui permettent, me semble-t-il, de compléter sa lecture. « L’innovation est, elle aussi, un moteur stable et durable : ce sont les technologies qui deviennent obsolètes, pas l’innovation » : Si on ne peut qu’être d’accord avec la seconde partie de la proposition, Il est difficile de trouver des arguments valides sur la première. De quelles innovations parle-t-on ? Du nombre de brevets issus des laboratoires de R&D ? Des nouveaux produits ? Des améliorations sur les processus industriels ? Je ne sais pas à quelle stabilité l’auteur se réfère mais pour avoir étudié, écrit et enseigné sur le sujet, quelle que soit la mesure retenue, l’innovation est tout sauf stable … elle varie selon le temps, le secteur, son cycle de croissance, le contexte économique et le cadre institutionnel dans lequel elle émerge. Quant à savoir si elle est durable, nous le souhaitons tous mais c’est une profession de foi à laquelle même Joseph Schumpeter – prophète de l’innovation, s’il en fut – ne souscrivait pas …« Comment évaluer en 1998 la rentabilité à dix ans d’un réseau 3G ? » : l’étude de cas des télécoms est intéressante mais elle ne répond pas à la question posée ci-dessus … rien de ce qui est décrit n’évoque la rentabilité du réseau 3G mais plutôt son « potentiel » (marché, usages, …) ? La différence n’est pas mince, surtout à dix ans. Si l’analyse permet d’identifier des marchés et des usages, elle ne permet pas de dire quels acteurs seront rentables en 2008 et lesquels ne le seront pas … A titre illustratif, projetez-vous en 1998 et appliquez cette approche à un fabricant d’ordinateur américain qui entame son comeback : Apple … rien ne permet d’envisager sa rentabilité sur le secteur, son influence sur l’évolution de la chaine de valeur des télécoms et enfin, sa capacité à s’approprier la rentabilité des opérateurs en place. Il est certain que l’analyse réalisée à l’époque prenait en compte d’autres paramètres que les usages (par exemple, les coûts, les acteurs du marché, …) mais les « mers » évoquées tout au long de l’article se référent à des « marchés » et donc à un potentiel, c’est l’environnement et la stratégie adoptée pour atteindre ces mers qui permet de projeter la rentabilité, et encore, très partiellement …« On ne peut pas diriger efficacement sans stabilité personnelle » : voilà une grande vérité souvent évoquée mais rarement étayée, j’attendais donc des pistes permettant d’entrevoir le parcours initiatique du dirigeant pour arriver à la « stabilité personnelle » … que nenni, la stabilité évoquée concerne le mandat des dirigeants et la stabilité de l’actionnariat pour s’achever par des louanges sur les « groupes familiaux » … Passons sur le fait qu’en pleine affaire du Mediator, le Groupe Servier (un de ces groupes familiaux) est au cœur de l’affaire – l’auteur ne craint pas d’être à contre-courant – et concentrons-nous sur l’essentiel : s’il y avait un modèle idéal de gouvernance, cela se saurait … L’instabilité organisationnelle des entreprises est inhérente à l’activité économique et cela quelques soit la structure actionnariale. Les rotations managériales – parfois excessives, convenons-en – auxquelles nous assistons reposent sur plusieurs « paradigmes » plus ou moins justifiés : la croyance en l’homme providentiel – le leader mythique, la prépondérance du financier, l’obligation de créer des changements au sein du management lorsque le confort s’installe, la nécessité pour la gouvernance d’entreprise à s’exprimer au travers de rapports de forces, … Bref, une convergence de facteurs pour lesquels la structure actionnariale ne fournit qu’une explication partielle. Mon propos n’est certes pas de défendre le « capitalisme financier » (un pléonasme) contre le « capitalisme familial », les deux modèles ont des forces mais aussi des faiblesses distinctives, mais de replacer le débat dans son contexte. La « stabilité personnelle » des dirigeants est certainement souhaitable pour « trouver les mers » mais pour la garantir, il faudra s’appuyer sur un cadre institutionnel bien plus large que la structure actionnariale.

  • http://www.facebook.com/robert.branche Robert Branche

    Merci pour l’intérêt que vous avez porté à mon article. A mon tour d’apporter des éclaircissements sur les 3 points que vous soulevez.
    1. Concernant l’innovation : Ma formulation était manifestement imprécise et sujette à malentendus. Quand je dis que l’innovation est un moteur stable, je ne veux pas dire que l’innovation est stable ou un moteur de stabilité, puisque, comme vous le soulevez très justement, tout innovation vient par nature déstabiliser l’existant. Non, j’employais le mot “stable” pour renforcer le mot “durable” : il n’y a pas de doutes à avoir que l’innovation restera toujours encore possible dans le futur et c’est un moteur sans fin.
    Reste donc la discussion sur la durabilité. Je continue donc, au risque de vous surprendre, qu’elle est durable, car c’est l’incarnation de la vie. Tout naît et meurt, et donc rien ne reste éternellement figé.

    2. Concernant le calcul de la rentabilité
    Lors du cas que j’évoque dans mon article, nous avions bien non pas seulement modélisé le marché, mais évaluer la rentabilité future. C’était d’ailleurs la seule question qui nous avait été posée : était-il rentable oui ou non d’investir dans un réseau 3G et quelle pouvait être la sensibilité aux hypothèses faites. Dans mon article, je n’ai présenté qu’un des aspects de l’étude menée, car ce n’était pas possible compte-tenu de la longueur autorisée pour cet article.
    Quelques éléments complémentaires donc :
    - nous avions modélisé les structures de coût, en faisant plusieurs hypothèses sur le déploiement du réseau 3G. A chacune de ces hypothèses, correspondaient différents scénarios d’ouverture de service (par exemple, un service auprès d’une force commerciale, ne pouvait commencer qu’à partir d’un certain niveau de couverture; la pénétration des services grand public se faisait aussi en fonction des zones couvertes).
    - l’approche faite qui reliait les services futurs à des besoins déjà existants (information, achat…) a permis de mesurer combien, par catégorie CSP, les français dépensaient en 98 (et avec des séries historiques). Nous avons pu alors faire des hypothèses sur la part de revenu capté, et donc sur le revenu additionnel.
    Le résultat final a été jugé suffisamment solide et notre client s’en est servi lors de ses négociations pour la licence 3G.

    3. Concernant la stabilité personnelle
    Ceci recouvre effectivement bien d’autres points et notamment le besoin de l’équilibre émotionnel d’un dirigeant. Je ne l’ai pas abordé dans cet article, par choix – peut-être était-ce une erreur ! – et à nouveau compte-tenu des contraintes de longueur. C’est un point que j’aborde longuement dans mon premier livre (Neuromanagement, pour tirer parti des processus inconscients de l’entreprise) et aussi dans mon second (Les mers de l’incertitude). J’ai aussi écrit plusieurs articles abordant ce thème sur mon blog (voir http://robertbranche.blogspot.com/search/label/Stabilit%C3%A9)
    Maintenant sur l’importance de la stabilité du management et de l’actionnariat, je maintiens que c’est un facteur favorisant la création de valeur durable. Je ne crois pas que l’instabilité organisationnelle soit liée à l’activité économique, je la crois beaucoup plus liée à des effets de mode fugaces, à une forme d’hystérie collective qui confond course, mouvement et efficacité (comme j’aime à le dire, s’il suffisait de courir pour être efficace, toutes les entreprises le seraient car je ne vois que des gens courir…).Si vous prenez par exemple l’exemple de L’Oréal, vous verrez une très grande stabilité organisationnelle et managériale, alors que l’entreprise opère sur des marchés très compétitifs et innove sans cesse.
    Ceci écrit, oui, bien sûr le capitalisme financier est aussi utile, mais je ne crois pas que les modes de calcul financier actuel mesurent réellement la performance économique réelle des entreprises. Ils sont d’abord une convention qui permet une forme de troc financier, et entretient une spéculation souvent défavorable à la vraie création de valeur. Il tend notamment à rendre les entreprises anorexiques et cassantes (voir mes articles sur ce thème : http://robertbranche.blogspot.com/search/label/Anorexie)

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