Pour gérer le vieillissement, pensons loin et rénovons la démocratie

Photo Francis Mer / Président du Conseil de Surveillance de Safran / April 14th, 2010

Dans tous les pays développés, l'augmentation de l'espérance de vie - presque un trimestre par an au rythme actuel - conjuguée à la baisse de la fécondité entraîne un vieillissement démographique inéluctable. En 2050, un quart de la population française, par exemple, aura plus de 65 ans, contre 16% aujourd'hui. La décroissance de la part des actifs dans la population représente un défi économique majeur. Francis Mer, ministre de l'Economie et des Finances de la France de 2002 à 2004, analyse les enjeux du vieillissement dans cet entretien à ParisTech Review.

ParisTech Review : Comment l’évolution démographique actuelle interpelle-t-elle les dirigeants politiques à travers le monde ?

Francis Mer : deux grandes évolutions caractérisent le monde actuel : l’augmentation de la population et son vieillissement. Aujourd’hui, nous sommes à un virage: le siècle qui s’est écoulé aura vu se multiplier par quatre la population mondiale, ce qui ne s’est jamais produit dans l’Histoire et n’arrivera jamais plus. Tous les continents, Afrique mise à part, ont terminé, ou largement entamé, leur transition démographique. Dans la plupart des pays – l’Allemagne en est très inquiète -, les taux de fécondité sont tels que le rapport entre population non active et population active va devenir préoccupant. Comment continuer à fonctionner à performance inchangée dans ces nouvelles conditions démographiques ?

Je me souviens d’une conversation avec mon homologue chinois. Il me disait : « le seul vrai problème que nous avons en Chine, ce sont les conséquences d’une décision de Mao que nous avons maintenue, celle de l’enfant unique. Nous savons que nous allons connaître dans les décennies à venir une population active qui n’augmentera plus et une population inactive qui croîtra considérablement. La Chine doit donc être aussi performante et puissante que possible aujourd’hui, pour nous permettre de maintenir demain le niveau de vie et la qualité de santé d’une population inactive qui va flamber ». Voilà la stratégie de la Chine. Tout ce qu’elle fait est guidé par la nécessité de prendre soin de cette génération d’aînés. Méditons cette capacité de la Chine de raisonner à très long terme.

L’Europe est elle détentrice d’une vision spécifique en la matière ?

En Europe, le système démocratique rend très compliquée la prise de décision sur des problèmes qui se profilent à 20 ou 30 ans, même si leur avènement est une quasi-certitude. Ce délai n’est pas compatible avec la durée des mandats électoraux dans nos pays, c’est-à-dire avec le temps de la vie politique. D’où les tensions actuelles sur les retraites. D’où l’importance capitale que va revêtir en France un éventuel consensus sur l’augmentation de la durée de cotisation couplée avec d’autres mesures permettant de rendre « soutenable » notre régime de « répartition ».

Actuellement, l’espérance de vie augmente de deux mois et demi par an dans la plupart des pays développés. En rapportant ceci à la part que représente la période active dans notre vie, certains soulignent que cet allongement de la vie devrait en toute logique être réparti en d’une part deux mois de vie professionnelle en plus et d’autre part un demi-mois de retraite supplémentaire. Qu’en pensez-vous ?

Je suis certain qu’un jour, beaucoup de gens travailleront jusqu’à 70 ans, sachant que les études seront aussi plus longues. Disons que nous irons au moins jusqu’à 45 années de cotisation, ce repère étant plus pertinent. Sinon, on va dans le mur. Il faut bien se rendre compte que lorsque Bismarck a adopté la sécurité sociale, l’espérance de vie faisait que la plupart des gens mouraient avant l’âge de la retraite! La situation était similaire en France en 1945: le rapport actifs / inactifs était tel qu’on pouvait financer le système des retraites sans aucun problème. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le système est donc menacé. Peu importe qu’il s’agisse d’un système par répartition, comme en France, ou par capitalisation. La seule différence tient au fait que dans le système par capitalisation, le « placement » des cotisations peut se faire ailleurs que dans le pays concerné: ce dernier « achète » en quelque sorte le travail de populations actives étrangères, au profit de sa population nationale. Au passage, ce mécanisme a un impact négatif sur le développement du pays « jeune ». Ce n’est donc pas un système parfait !

On ne fait en fait que déplacer le problème sur une échelle différente, régionale ou mondiale, mais in fine, globalement, seul le volume de travail des actifs finance la retraite des inactifs. La première question est donc celle-ci: comment la population active doit elle être gérée pour être de plus en plus performante, pour produire plus avec moins d’heures de travail ? Deuxièmement, comment, tout en respectant nos valeurs et nos usages démocratiques, convaincre la population active de continuer à payer – en réalité, de payer de plus en plus – pour la population retraitée ?

Ce dilemme économique, comment se traduit-il dans le débat politique ?

Sur le plan politique, le problème est d’autant plus préoccupant que le taux de participation électoral est beaucoup plus fort chez les seniors que chez les jeunes. On pourrait imaginer une situation catastrophique dans laquelle la majorité âgée, qui a le pouvoir démocratique, obligerait les jeunes à payer toujours plus pour les retraites. Et ces mêmes jeunes pourraient descendre dans la rue en disant « je ne veux plus de ce système ». J’ai souvent pensé que le risque était réel d’être un jour dans cette situation dangereuse pour la démocratie. Une partie de la population jeune pourrait aussi choisir d’exercer sa liberté individuelle et d’émigrer vers des pays où notre système basé sur la solidarité intergénérationnelle n’a pas cours -les Etats-Unis par exemple- ce qui ferait encore plonger la part de la population active, amplifiant le déséquilibre et créant de nouvelles tensions entre les générations.

Je pousse volontairement le raisonnement à l’extrême pour montrer que tout cela porte en germes des conséquences politiques considérables. La France est en sursis grâce à une natalité assez élevée, en grande partie grâce à la population immigrée. Autour de nous, le problème est beaucoup plus prégnant. La situation allemande est presque dramatique. Mais l’Allemagne gère son problème démographique de manière plus responsable que la France. Les Allemands ont pris, concernant l’âge de la retraite, les décisions que nous allons, j’espère, prendre dans quelques années. Et encore, ces décisions ne permettent pas de compenser pleinement le déséquilibre entre population active et non active…

L’explosion de la population âgée a ses bons côtés. Elle va générer des emplois ?

Sans doute, mais il s’agit majoritairement d’emplois non directement productifs. Par ailleurs, l’augmentation du nombre de personnes âgées très dépendantes est de nature à entraîner de lourds investissements d’infrastructures. Il faut savoir que pour un individu, la dernière année de vie représente à elle seule, en moyenne, 20 à 25 % des dépenses totales de santé de toute sa vie. Regardez le coût actuel des maisons de santé: inévitablement, le patrimoine des personnes âgées sera progressivement consacré à leurs propres besoins au lieu d’être transmis à la génération suivante et d’aider leurs enfants ou leurs petits-enfants à démarrer dans la vie. La transition démographique s’est accompagnée d’une vraie révolution dans la notion de famille: autrefois, le souci d’avoir des enfants tenait en partie à la nécessité, pour les parents, de les voir subvenir à leurs besoins au moment de vieillir. Ce modèle a été balayé… Mais la question de la solidarité entre les générations se pose évidemment toujours, sinon à l’échelle familiale, du moins à l’échelle de la société.

Et le progrès technologique ? Va-t-il permettre d’améliorer la prise en charge des personnes âgées ?

Il est vrai que dans ce domaine, la productivité devrait s’améliorer considérablement grâce à la technologie. La vague exponentielle de production de connaissances que nous connaissons actuellement est pour moi un motif considérable d’optimisme. Si nous savons exploiter la révolution apportée par les nouvelles technologies – celles de l’information en particulier- nous avons devant nous une chance réelle d’améliorer la résolution des problèmes évoqués plus haut. Comment, en effet, rendre les actifs plus performants ? En les éduquant mieux. Il faut donc, c’est une priorité absolue, bâtir un système d’éducation permettant à un plus petit nombre d’actifs d’avoir la même performance collective que leurs prédécesseurs. Il faut consacrer à l’éducation des jeunes générations un effort sans rapport avec celui qui est consenti aujourd’hui.

Dans ce cercle vertueux, quel est le rôle des entreprises ?

Il faut aider les acteurs économiques à prendre conscience que leur actif le plus précieux, c’est leur personnel. Demain l’employeur, qui jusqu’à présent faisait confiance au marché pour lui fournir des jeunes bien formés, va devoir se prendre par la main pour aller vers le monde de l’enseignement et s’occuper de la formation de ses employés. Ce n’est pas en reportant cette responsabilité sur la collectivité que les entreprises peuvent espérer continuer à prospérer. En revanche, si elles savent créer les conditions pour que leurs salariés veuillent et puissent continuer à apprendre, alors nous avons un réservoir de productivité et d’innovation qui est sans limite. Tout cela grâce au génie de l’homme !

Sur les seniors aussi, les entreprises ne peuvent plus raisonner comme si, à 50 ans, ils allaient sagement rester où ils étaient et attendre l’âge de la retraite. La loi du 1er janvier 2010 a constitué un progrès: la mise à la retraite du fait de l’employeur est interdite jusqu’à 70 ans.

Et celui de l’immigration ?

Quand on parle d’amélioration de la performance de la population active, le sujet de l’immigration est incontournable. Même si les Allemands n’ont pas vraiment réussi à organiser une immigration « sélective » pour les informaticiens, il faut continuer à réfléchir à des idées nouvelles et l’Europe doit repenser sa politique d’immigration. Aux Etats-Unis ou au Canada, 30 % des gens ayant reçu leur carte verte sont des personnels qualifiés. En Europe, cette proportion est de 10 %… Parce qu’il y a une tradition politique du droit d’asile qui prime sur l’importation des compétences. De plus, la seule réserve de main d’œuvre qui augmente aujourd’hui est l’Afrique, et elle est aujourd’hui largement non qualifiée. Cette situation peut sans doute évoluer, là aussi, par le biais de la révolution technologique.

Vous comptez beaucoup sur les technologies. Mais l’aptitude de la classe politique à se « projeter en avant » est également essentielle. Or vous estimez qu’elle fait défaut…

Pour pouvoir penser à long terme, il faut rénover la vie politique. Pour quelques très hautes fonctions, la politique doit être un service rendu à la nation, pas un métier. On peut le faire pendant un temps donné. Par exemple deux mandats. L’homme ou la femme politique retourne ensuite à la vie civile. Pour rendre possible cette évolution des mœurs, il est nécessaire que tout élu ait droit à la reconnaissance de la nation, c’est-à-dire à une retraite, même après huit ans. Ce système existe en Suisse, au niveau des cantons. Mais ils ne sont pas allés jusqu’à interdire aux élus de faire carrière au niveau confédéral. Ce serait une révolution ! Changer la vie politique de cette manière, ce serait aller dans le sens de la responsabilisation, du bien-être national de long terme plutôt que des intérêts des politiques qui ne peuvent pas, et c’est humain, penser à leur carrière dans le «métier » qu’ils ont choisi.

On peut aussi essayer de convaincre les électeurs qu’ils doivent élire des gens qui pensent à très long terme ?

Ca, c’est de l’utopie!

Avec Internet s’est pourtant développé le concept de « sagesse des masses », l’idée que la réflexion collective donne plus de fruits que la réflexion isolée, fut-elle celle d’experts.

Il est vrai que cette sagesse existe… Personnellement, j’ai vu dans la prise de conscience planétaire sur le réchauffement climatique la première manifestation de cette sagesse des masses. Elle amène le politique à traiter un problème perçu par la base qui exige une solution. Ce qui n’est pas le sens habituel. Même si Copenhague est un échec, prévisible, l’existence de ce sommet et de ce processus démontre que nous sommes en train de réaliser que nous appartenons à un seul monde, et cette découverte finira par se traduire par un sentiment partagé de responsabilité collective au niveau de notre humanité et donc par une forme, à trouver, de gouvernance mondiale.

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