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L’Ecole de ParisClextral est une entreprise de mécanique implantée à Firminy, près de Saint-Etienne. Elle ne compte que 275 salariés‚ dont 80 ingénieurs‚ mais vend ses machines dans 88 pays. Quel est son secret?
En 1956, la société qui allait donner naissance à Clextral a acquis une licence d’exploitation de l’extrusion bivis. À partir de cette technologie et en pratiquant le codéveloppement avec ses clients‚ elle a su conquérir des marchés aussi inattendus que les équipements industriels pour les cornflakes ou encore pour la pâte à papier fiduciaire‚ où elle a acquis une position de leader mondial. Malgré plusieurs changements d’actionnaire, Clextral s’est dotée d’une identité très forte reposant sur le respect du produit, des clients et des salariés, identité qu’elle a su faire partager à ses actionnaires. Ayant construit sa croissance sur l’innovation et sur l’internationalisation, et tout en ayant conservé son site de production à Firminy, elle possède des filiales et bureaux sur tous les continents.
Clextral conçoit et produit des machines spéciales destinées à plusieurs industries : l’agroalimentaire (cornflakes, snacks apéritifs, aliments pour poissons d’élevage, croquettes pour chiens et chats, semoule de couscous…), l’industrie papetière (pâte à papier pour billets de banque et sécurité…), la plasturgie (fabrication de compounds), l’industrie chimique (extrusion réactive…), et le nucléaire (pompes de sécurité).
La technologie sur laquelle reposent la plupart de ces machines est l’extrusion bivis. Elle comprend un moteur, un réducteur de vitesse pour transmettre le mouvement du moteur à deux arbres, un jeu de vis de formes complexes, des dispositifs permettant de faire subir à la matière des réactions thermiques et chimiques, et enfin des systèmes de coupe qui donnent au produit sa forme finale. L’intérêt de cette technologie flexible est que la transformation du produit se fait en continu. Une machine de ce type est capable, par exemple, de produire jusqu’à 25 tonnes de croquettes pour poissons à l’heure.
D’autres technologies sont utilisées, par exemple pour transformer la farine de blé en semoule et la sécher suivant différentes granulométries, ou encore pour nettoyer, blanchir et couper les fibres de coton qui servent à produire la pâte à papier fiduciaire. Enfin, l’entreprise fabrique des pompes de sécurité qui équipent l’ensemble des centrales nucléaires EPR (European Pressurized Reactor) en France, et elle en a également vendu en Belgique, en Afrique du Sud, en Corée et en Chine.
Histoire d’une entreprise
En 1956, l’une des divisions de la Compagnie des Ateliers et Forges de la Loire (CAFL) acquiert une licence d’exploitation du brevet de la technologie d’extrusion bivis, qui avait été inventée par un ingénieur italien, Roberto Colombo, pour produire des matières plastiques. Pendant des années, c’est cette application que la CAFL a exploitée, par exemple en vendant à Rhône-Poulenc des machines destinées à fabriquer des profilés en PVC (Polychlorure de vinyle) ou des polyamides.
En 1970, la CAFL fusionne avec la Société des Forges et Ateliers du Creusot pour donner naissance à Creusot-Loire.
En 1971, le Centre technique de l’union des céréaliers (CTU) organise une mission aux États-Unis pour étudier la façon dont sont valorisés les produits issus du maïs. Il découvre un procédé mis au point par une société familiale, Wenger : une machine monovis cuit les grains de maïs sous pression, comme dans une cocotte-minute ; au moment où le maïs sort de la machine, il s’expanse instantanément et devient croustillant.
Le CTU a cherché des constructeurs français de monovis pour concevoir avec eux des produits innovants à partir de céréales. N’en ayant pas trouvé, il s’est rabattu sur l’extrusion bivis de Creusot-Loire. Cette société a été suffisamment iconoclaste pour accepter de mettre de la farine dans une machine destinée à fabriquer du plastique, et le résultat a été un pain plat qui a connu un énorme succès. Commercialisé en France sous le nom de Cracotte, il s’est répandu dans le monde entier sous divers noms et avec des recettes variées. Le codéveloppement a été assuré avec la société Diepal, ultérieurement rachetée par BSN.
Dès ce moment, l’entreprise a été identifiée par l’industrie agroalimentaire comme possédant une technologie qui permettait de créer des produits innovants dans des conditions de fabrication très intéressantes, c’est-à-dire en continu et en utilisant très peu d’eau.
Les dirigeants de Creusot-Loire, sentant que la fin du groupe était proche, ont eu la sagesse, juste avant le dépôt de bilan, de filialiser certaines activités afin qu’elles puissent lui survivre. En 1984 est née la société Clextral, dont le nom est composé de CL (Creusot-Loire), EXT (extrusion) et AL (alimentaire). En 1985, Clextral a fait partie des entités qui ont rejoint Framatome au sein d’un pôle d’équipements industriels.
Dès 1976, Creusot-Loire avait coopéré avec le Centre technique du papier (CTP) pour tenter de fabriquer de la pâte à papier grâce à la technologie bivis. Le responsable de l’équipe du CTP est venu de Grenoble avec un sac de copeaux. Il l’a versé dans une machine qui servait à fabriquer des cornflakes et a obtenu quelque chose qui ressemblait à de la pâte à papier. Clextral a alors créé un pilote en partenariat avec plusieurs papetiers et mis au point un procédé beaucoup plus économe en eau et en énergie que le procédé traditionnel.
L’application de loin la plus intéressante, celle de la pâte à papier fiduciaire, a été mise au point avec la Banque de France. À l’issue d’un codéveloppement qui a duré trois ans été déposé un brevet tripartite entre Clextral, le Centre technique du papier et la Banque de France. Celle-ci a inauguré son installation en janvier 1991 et un accord de commercialisation a été signé : pendant plusieurs années, elle a ouvert ses portes aux prospects de Clextral et chaque fois que cela permettait de conclure une vente, des royalties lui étaient versées. Grâce au brevet et à cette coopération exemplaire avec ce premier client, Clextral a réussi à prendre pratiquement les trois quarts du marché mondial de la fabrication de pâte à papier fiduciaire.
Dès la fin des années 1990, Framatome a souhaité abandonner ses diversifications. L’équipe de direction compris que Clextral allait être vendue au plus offrant et constaté que plusieurs de nos concurrents étaient en lice. Or, nous voulions que l’entreprise puisse poursuivre son aventure. Nous avons donc travaillé par anticipation sur une autre solution, celle d’un LBO (leveraged buy-out). Nous avons rencontré plusieurs fonds d’investissement et compris que nous ne ferions pas affaire avec eux, car leurs attentes en termes de retour sur investissement étaient incompatibles avec notre métier.
Nous en avons trouvé deux dont la démarche était plus conforme à ce que nous cherchions, Union d’Investissement et AtriA. En 2001, nous avons signé le contrat de LBO avec ces deux fonds et avec GIMECA, la banque d’investissement de la Fédération des Industries Mécaniques. Parmi les managers de Clextral, quatorze personnes ont emprunté de l’argent pour participer au rachat de l’entreprise, et 5% des actions ont été proposées aux salariés à travers un plan d’épargne. Ce dernier comprenait 50% d’actions Clextral et 50% d’actions diversifiées, de façon à limiter les risques pour les salariés. Tous sont devenus actionnaires.
En 2007, les fonds d’investissement souhaitaient sortir du capital. Nous avons dû nous mettre à la recherche d’un nouvel actionnaire et nous avons choisi Legris Industries, un groupe familial diversifié.
Clextral emploie actuellement 275 personnes, dont 227 en France et 48 à l’étranger. Avec un chiffre d’affaires de 62,1 millions d’euros, l’année 2012 est notre record historique. Le résultat d’exploitation en 2012 fait apparaître une marge opérationnelle de 8 %.
Son marché se compose d’une juxtaposition d’une vingtaine de niches applicatives, chacune avec des clients et des concurrents différents. Les marchés sont souvent de très petite taille, avec un nombre de compétiteurs réduit (de un à trois), sauf pour la plasturgie, domaine dans lequel l’entreprise est confrontée à une trentaine de concurrents.
Clextral détient 30% du marché mondial pour la cuisson-extrusion dans l’industrie agroalimentaire, 70% du marché des lignes de production de semoule de couscous, 70% du marché de la fabrication de pâte à papier fiduciaire.
La réussite de l’entreprise repose sur deux moteurs de croissance conjugués, l’innovation et l’internationalisation, et deux autres facteurs de réussite que je vais également évoquer.
La place centrale de l’innovation
Si elle en était restée à l’application initiale de l’extrusion bivis à la plasturgie, l’entreprise serait aujourd’hui en grande difficulté. La fabrication du plastique est extrêmement banalisée et tout le monde utilise les mêmes procédés. La compétition porte essentiellement sur les coûts ou la capacité à fabriquer de très grosses machines, domaine dans lequel les Allemands sont leaders.
C’est pourquoi, depuis l’origine, le principal moteur de croissance de Clextral est l’innovation. Sur les 275 salariés de l’entreprise, on compte 80 ingénieurs, dont 3 docteurs.
La firme dispose de trois centres de R&D, en France, aux États-Unis et en Australie, et d’une bonne maîtrise de notre propriété industrielle grâce à 17 brevets. En 2012, elle a consacré 3,6% de son chiffre d’affaires à la R&D.
À l’époque où Creusot-Loire vendait des lignes de plasturgie à Rhône-Poulenc, elle le faisait sur cahier des charges et restait donc un équipementier : seul le client maîtrisait le process.
C’est le fait de se lancer dans l’agroalimentaire qui a permis à Clextral de devenir une entreprise innovante. Ses premiers clients en agroalimentaire ne connaissaient pas l’extrusion bivis, ce qui lui a laissé le temps de développer sa compétence process et lui a permis de les entraîner dans sa propre dynamique d’innovation.
Alors qu’à cette époque elle employait essentiellement des mécaniciens, des électriciens et quelques automaticiens, Clextral a recruté des ingénieurs en agroalimentaire pour qu’ils parlent le même langage que ses clients et soient capables de comprendre ce qui se passait à l’intérieur des machines. De même, lorsqu’elle s’est lancée dans l’activité de pâte à papier, elle a embauché un ingénieur de l’École française de papeterie. En 1994 a été recruté un professeur de l’université de technologie de Compiègne, Jean-Marie Bouvier, spécialiste de l’extrusion bivis, qui avait passé une année sabbatique aux États-Unis et connaissait bien les sociétés savantes américaines spécialisées dans la chimie des céréales. À partir de 1994, c’est lui qui a piloté les équipes de R&D.
L’entreprise a toujours tenu à travailler en codéveloppement avec ses clients. Lorsqu’il lui arrive de faire quelques essais par elle-même, elle leur soumet aussitôt les échantillons pour voir leur réaction : ce sont eux qui connaissent le marché et qui auront envie ou pas de prendre le risque de se lancer dans un nouveau procédé ou un nouveau produit.
Dès ses premiers pas dans l’agroalimentaire, Clextral s’est dotée d’un pilote qui lui a permis d’attirer les industriels du secteur. Ils venaient à Firminy avec leur matière première et leurs ingénieurs pour travailler avec ceux de l’entreprise.
En 1985 a été créé à Firminy un centre de recherche plus important, avec des machines pilotes mais aussi des accessoires qui permettaient d’en faire de petites lignes de production, de façon à sécuriser les clients sur la faisabilité de leurs produits, voire à produire en petite quantité pour tester les nouveaux marchés. Assez vite, il a fallu construire un deuxième centre de recherche sur le même modèle aux États-Unis, pour que les grands comptes américains puissent disposer des mêmes outils. Le troisième centre de recherche a ouvert en Australie en 2010, à l’occasion de la mise au point d’un nouveau procédé, l’extrusion-porosification, qui permet de fabriquer des poudres poreuses en réduisant la consommation d’énergie.
L’entreprise a constamment veillé à étendre son réseau scientifique et technique national et international.
Elle est membre de quatre pôles de compétitivité : IAR (Industrie et Agro-Ressources), pour diversifier ses activités à base de cellulose vers la biomasse ; Axelera, pour développer l’extrusion réactive, c’est-à-dire l’intégration de réactions chimiques aux process ; Plastipolis, pour développer la production de compounds de haut de gamme ; Viaméca, pour progresser sur les modes d’élaboration de nouvelles métallurgies.
En 2006, pour les 50 ans de l’arrivée de l’extrusion bivis à Firminy, un congrès scientifique a réuni 300 participants venus de 38 pays pour réfléchir aux futures applications de cette technologie dans la santé et l’environnement. À cette occasion a été présentée par exemple une innovation développée avec Limagrain: un plastique biodégradable fabriqué à partir de maïs et destiné au paillage des champs, qui a la particularité de disparaître au bout de 40 jours.
L’internationalisation
Le deuxième grand moteur de croissance de Clextral est son internationalisation progressive, en particulier vers les pays où, pour des raisons évidentes de démographie et d’industrialisation, les marchés seront le plus dynamiques dans les années qui viennent. Le PIB des pays émergents va rattraper celui des pays du nord puis, selon toute probabilité, va le distancer assez rapidement.
La part de chiffre d’affaires à l’export est passée de moins de 50% en 1990 à 84% en 2010. En 2012, la part de l’export hors zone euro atteignait 73%. Sachant que l’euro est surévalué depuis 2004, ce chiffre est un bon indice de compétitivité, et il montre par ailleurs que l’entreprise est bien positionnée sur les marchés les plus porteurs.
Chaque année, elle vend entre 30 et 40 installations ou matériels neufs un peu partout dans le monde. Depuis son démarrage, Clextral a réalisé des transactions dans 88 pays, et continue à vendre chaque année des services dans environ 70 pays. La place importante des services dans son activité contribue à lui donner une bonne assise économique, car une partie des services est récurrente, alors que les ventes de matériel neuf peuvent être très variables en fonction des marchés et de la conjoncture économique.
Le développement sur le marché international n’aurait pas été possible sans la création de nombreux bureaux et filiales à l’étranger. Les clients qui achètent une machine ou une ligne de production s’engagent pour vingt ou trente ans. Il est nécessaire de créer une proximité et même une intimité avec eux si l’on veut qu’ils fassent confiance et acceptent de prendre le risque de travailler avec l’entreprise. Être proches d’eux géographiquement permet de leur fournir rapidement matériels et pièces de rechange, et aussi de leur apporter des services : fiabiliser un process, former des opérateurs, upgrader une machine quand les matières premières évoluent ou que l’entreprise décide de modifier ses produits, etc.
Le fait de s’installer sur place a également permis de profiter de certains autres avantages compétitifs. Par exemple, lorsque Clextral vend des machines au Brésil depuis l’Europe, ses clients sont assujettis à des taxes d’environ 30%. Elle s’est implantée au Chili, où sont assemblées les machines, et en vertu d’accords bilatéraux passés entre le Chili et le Brésil, les clients ont moins de taxes à régler lorsque des machines sont vendues au Brésil avec de la valeur ajoutée au Chili.
Autre exemple, sachant que l’Algérie n’a pas une culture de maintenance très avancée, il fallait être sur place pour assurer l’entretien des lignes de fabrication de couscous. Par ailleurs, en Algérie, jusqu’en 2011, il fallait une lettre de crédit pour payer une facture de 1000 euros. Cela ne posait pas de problème pour acheter une ligne de fabrication de 1,5 millions d’euros, mais devenait très fastidieux lorsqu’il s’agissait de commander des pièces de rechange. Grâce à la création d’une filiale locale, il a été possible de les facturer en dinars.
Enfin, la proximité et une offre de services très attractive permettent de faire payer les produits plus cher que nos concurrents.
Clextral s’est implantée aux États-Unis dès 1983 et en Chine en 1995. Mais c’est surtout au cours des quinze dernières années qu’elle a multiplié les filiales et bureaux à l’étranger : en 2002 au Chili, en 2006 en Algérie, en 2008 en Russie et au Danemark, en 2009 en Australie et au Maroc, en 2012 au Vietnam et au Brésil. Clextral est ainsi devenue une “multinationale de poche”. Sur 275 salariés, 227 travaillent en France et 48 à l’étranger.
Pour tisser une véritable relation de proximité avec ses clients et être capables d’innover avec eux, elle ne pouvait pas se contenter de recourir à l’anglais, car cela ne crée pas suffisamment de complicité. Pour chacune de nos implantations a été recrutée une personne qui avait déjà une connaissance approfondie du pays, souhaitait y vivre, parlait sa langue, partageait sa culture et parfois même sa religion. Aujourd’hui, Clextral travaille dans 17 langues différentes.
L’innovation et l’internationalisation se renforcent mutuellement, car l’innovation crée de la valeur ajoutée qui permet d’aller à l’international, et l’internationalisation constitue un nouveau facteur d’innovation. D’un pays à l’autre, les matières premières ne sont pas identiques, les clients n’ont pas les mêmes habitudes, etc. Cela oblige à trouver en permanence de nouvelles idées.
À l’époque de Creusot-Loire, deux personnalités ont incarné cette synergie : M. Berger, un inventeur génial qui avait l’obsession de découvrir de nouveaux domaines d’application, et M. Spriet qui, dès qu’un nouveau procédé était au point, se précipitait pour aller le vendre dans le monde entier.
Associer les parties prenantes
L’innovation durable et la conquête des marchés internationaux passent toutefois par une condition préalable, la profitabilité de l’entreprise. Non seulement une entreprise qui ne gagne pas d’argent ne peut pas durer très longtemps, mais elle n’inspire pas confiance à ses clients, à ses banquiers, à ses actionnaires, et ne parvient pas à recruter des personnes de valeur.
Lorsque je suis devenu directeur adjoint de Clextral, en 1989, l’entreprise avait une culture très forte du produit, de l’innovation et du respect du client. Mais elle avait aussi gardé la culture syndicale d’un grand groupe. Les cinq syndicats se livraient à une compétition féroce et donnaient dans la surenchère permanente pour des raisons clientélistes.
J’ai mis en place une formation à l’économie pour l’ensemble des salariés, en commençant par des choses très simples, comme la comparaison entre le budget d’une entreprise et celui d’un ménage. L’objectif était que chacun comprenne que, dans un cas comme dans l’autre, on ne peut pas dépenser plus que ce que l’on gagne sans s’exposer à de graves problèmes. Je profitais également des comités d’entreprise pour proposer aux salariés de réfléchir aux raisons qui nous avaient permis d’emporter tel marché ou nous avaient fait perdre tel autre, et aux aspects que nous pouvions améliorer pour être plus compétitifs. Peu à peu, nous avons réussi à ajouter ces réalités économiques et cette notion de compétitivité à celle de qualité, déjà bien ancrée dans l’entreprise. Parallèlement, nous avons mis en place un accord d’intéressement permettant aux salariés de toucher 15% du résultat d’exploitation, soit plus de 20% du résultat après impôt.
Cet effort de pédagogie a permis, à la longue, de moderniser les relations sociales. Au bout de quelques années, j’étais parvenu à ce qu’avant toute négociation salariale, les cinq syndicats se mettent d’accord sur une position commune.
Quand est arrivée la loi sur les 35 heures, j’ai également obtenu leur accord pour que cette réforme n’entraîne aucun surcoût pour l’entreprise. Tous nos concurrents étant étrangers, ils n’étaient pas soumis aux mêmes contraintes que nous, et tout surcoût nous aurait obligés soit à augmenter les prix, ce qui aurait nui à la compétitivité de l’entreprise, soit à diminuer les marges, ce qui aurait compromis sa capacité à innover et à investir. J’ai obtenu cet accord en préalable aux négociations. Le délégué CGT s’est fait « remonter les bretelles » par son délégué départemental, mais après dix-huit mois de discussion, l’entreprise a relevé le défi de passer aux 35 heures sans que cela lui coûte quoi que ce soit.
Le passage de 39 heures à 37 heures et demie a été financé par le lissage des salaires sur trois ans. Pour les 2 heures 30 restantes, nous avons fait admettre le principe d’une pause d’une demi-heure par jour, afin que chacun puisse bavarder avec ses collègues sans prendre sur le temps de travail. Au total, les salariés sont présents dans l’entreprise pendant 37 heures et demie et sont rémunérés pour 35 heures.
La croissance de l’entreprise suppose aussi de construire une vision managériale à long terme, qui soit à la fois inspirée par les clients et partagée par les actionnaires.
Les clients de Clextral l’ont toujours beaucoup éclairée sur les transformations des marchés et l’ont guidée dans l’élaboration de ses stratégies. Les actionnaires successifs ont accepté de s’engager dans ces stratégies, même si cela a demandé beaucoup d’efforts d’argumentation et de conviction. Tous les actionnaires sont tentés, à un moment ou un autre, de vous dire : « Écoutez, on va déjà faire du résultat cette année, et puis après on verra. » Il faut avoir le courage de leur répondre: «Nous sommes une entreprise et en tant qu’actionnaires, vous devez être capables de prendre des risques et d’être patients. En contrepartie, nous allons tout faire pour que votre placement vous rapporte, de façon durable, nettement plus qu’un livret A. »
*
Quels sont les principaux freins au développement d’une entreprise comme Clextral ? Le premier est la surévaluation de l’euro. J’ai en mémoire un article des Échos de 2004 selon lequel, si l’euro dépassait 1,20 dollar, l’ensemble de l’industrie européenne s’effondrerait. C’est la situation que nous connaissons depuis cette date.
Si l’on veut favoriser l’innovation, il faudrait permettre aux ingénieurs des clients et à ceux des fournisseurs de se parler. Depuis une quinzaine d’années, surtout en France, leurs relations sont rendues très difficiles en raison des barrières instaurées par les acheteurs et les juristes.
Pour être présents demain dans 150 pays au lieu de 88, nous devons développer l’entreprise, et la croissance interne n’y suffira pas. Que ce soit à l’époque de Framatome, du LBO ou en 2013, les moyens financiers alloués à la croissance externe ont été trop faibles. Le succès des ETI (entreprises de taille intermédiaire) allemandes vient en grande partie de leur capacité à absorber des PMI (petites et moyennes entreprises).
Je ne m’étendrai pas sur le handicap à l’exportation que constitue le niveau très élevé des cotisations sociales et des taxes en France, ni sur la lourdeur et la complexité administrative des aides publiques. Les banques françaises ne sont pas non plus adaptées au financement des projets d’entreprises exportatrices de la taille de Clextral, contrairement aux banques allemandes.
Enfin, Clextral rencontre de grandes difficultés à recruter de jeunes ouvriers. En raison des dépôts de bilan liés à la crise de l’automobile, elle a réussi à embaucher des ouvriers âgés d’une quarantaine d’années et très bien formés, mais il est très difficile, même en passant par l’apprentissage, de trouver des jeunes à la fois motivés et compétents. Or, sans ouvriers de qualité, notre pays aura du mal à relancer son industrie.
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Ce document est le compte-rendu d’une intervention en février 2013 dans un séminaire « Ressources Technologiques et Innovation » de l’Ecole de Paris du Management, partenaire éditorial de ParisTech Review.
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