La tenue de la COP21 (Conference of Parties), en décembre 2015 à Paris, fournit l’occasion de faire le point sur le développement du captage et stockage du CO2 (CSC ou CCS en anglais). L’Agence internationale de l’énergie s’attend à ce que cette technologie contribue pour 15 à 20% à l’effort mondial de réduction des émissions de CO2 nécessaire à la réalisation de l’objectif, affiché à Copenhague, de limitation à 2° Celsius du réchauffement climatique à l’horizon 2100. Dans son rapport World Energy Outlook de 2014, elle présente notamment son scénario 2°C où les émissions mondiales seraient ramenées en 2040 de 46 GT, dont 21 GT issues du secteur électrique (Business as usual), à 20 GT, dont 4 GT pour le secteur électrique. Combiner la poursuite de l’usage du charbon à grande échelle avec les objectifs climatiques nécessite la mise en place en 25 ans d’une industrie de taille comparable à celle de l’industrie pétrolière. Attentes, espoirs puis obstacles à surmonter sont rapidement présentés avant de visiter les trois maillons de la chaîne complète de captage, transport et stockage de CO2. Enfin des perspectives sur les actions à poursuivre sont proposées.
Dans les années 2000, un discours très optimiste s’est développé sur le potentiel de réduction des émissions anthropiques de CO2 à attendre de la mise en œuvre, sur des sources fixes, du captage et stockage géologique du CO2.
Avec le succès technique obtenu par la compagnie pétrolière norvégienne Statoil sur le site de Sleipner, en mer du Nord norvégienne, un développement rapide était présenté comme facilement réalisable ; le gouvernement norvégien impose une taxe de l’ordre de 30 à 50 € / tonne de CO2 aux émissions dans l’atmosphère lors des opérations de purification de gaz naturel, nécessaires si la teneur en CO2 (éventuellement 30%) est trop élevée au regard des exigences de la commercialisation (2,5%). Pour éviter de la payer, Statoil a injecté depuis 1996 près d’un million de tonnes de CO2 par an dans un aquifère salin (le banc UTSIRA) accessible depuis la plateforme de traitement du gaz naturel.
Dans la foulée, le Premier ministre britannique, Tony Blair, a déclaré, lors de la réunion du G8 à Gleneagles en 2005, que la Grande-Bretagne nourrissait l’ambition de devenir le fer de lance en Europe du développement de cette technologie, avec quatre projets industriels. Le premier fut annoncé pour un cycle combiné au gaz, à Peterhead, en Ecosse. Le Royaume-Uni est favorisé par la nature et par sa pratique industrielle dans l’extraction pétrolière et gazière en mer. Il dispose de gisements en fin d’exploitation et de la présence d’infrastructures comprenant des plateformes en mer et des réseaux d’oléoducs et gazoducs de grande capacité.
Dans ce contexte, et notamment à l’instigation de la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell, appuyée notamment par les compagnies britanniques BP et norvégienne Statoil, la Commission européenne, avec ses directions générales respectivement en charge de la R&D, de l’environnement et de l’énergie, a suscité la mise en place d’une plateforme technologique dédiée, la ZEFFPPP (Zero Emission, Fossil Fired Power Plant Platform) rapidement renommée « Zero Emission Platform » (ZEP). La complexité du sujet, avec ses dimensions technologiques, industrielles et sociétales, avait conduit la Commission à faire appel à des représentants des secteurs économiques potentiellement impliqués : production d’électricité, industrie des gaz industriels, opérateurs pétroliers et gaziers et l’ensemble de leurs fournisseurs. Pour tenir compte de la dimension d’acceptation sociétale, des organisations non gouvernementales ont également été conviées pour représenter la société civile.
À titre personnel, je retire une grande satisfaction d’avoir pu participer à ce travail réalisé en commun aux côtés de plus de deux cents experts ou responsables, d’une vingtaine de nationalités, issus d’une large palette de secteurs industriels, chacun avec sa culture spécifique et ses propres enjeux. Bien qu’aucun des participants ne connaisse initialement plus d’une dizaine de personnes, un mode de travail collectif s’est immédiatement instauré et les groupes et sous-groupes autogérés se sont mis en place ; ils ont produit en quelques mois une série de documents de grande qualité, dont un plan stratégique de recherche et un plan de développement stratégique de la technologie en Europe. En outre, pour chacune des briques technologiques élémentaires nécessaires à la réalisation de chaque filière, une synthèse de la contribution de tous les sous-groupes d’experts a aussi évalué la maturité technologique et les efforts à réaliser pour la hisser au niveau de la réalisation industrielle.
Obstacles à surmonter
Les difficultés de six ordres à la réalisation de chaînes complètes de captage-transport-stockage de CO2 ont été, pour la plupart, très rapidement identifiées (Giger, F., Di Zanno, P.et al. : “Making Carbon Capture and Storage Happen in Europe: Markets, Policy, Regulation”, WG4 Subgroup on “Markets, Policy and Regulation”, EU Technology Platform Zero Emission Fossil Fired Power Plants, Brussels, 26 Sept. 2006).
Juridique : le statut du CO2
Un principe généralement admis dans les réglementations de protection de l’environnement interdit toute injection de déchet liquide dans le sol. Comment considérer le stockage géologique de CO2 en phase dense, dans un état dit « supercritique » où les physiciens ne font plus la distinction entre phases liquide et gazeuse ? Il est nécessaire de définir un statut particulier au CO2 pour le sortir de la catégorie de déchet liquide.
Transport transfrontalier
Là encore, le statut potentiel de déchet nécessite des adaptations, tant pour la traversée de frontières terrestres que pour le transport par canalisation sous la mer (régi par la Convention de Londres) ou pour permettre la migration dans des structures géologiques situées à cheval sur des frontières maritimes.
Technique
Les difficultés techniques sont celles qui viennent le plus vite à l’esprit des ingénieurs, que ce soit au niveau du captage et de la compression du CO2, de son transport et de son injection dans les structures géologiques profondes ; elles seront évoquées ultérieurement plus en détail.
Acceptation sociétale
Le thème de l’acceptation par le public a été identifié très tôt, compte tenu des difficultés rencontrées pour le dépôt de longue durée d’autres déchets et de la référence aux remontées létales de CO2 dans la configuration très particulière du lac dans le cratère volcanique Nyos en Afrique. C’est dans ce contexte que des organisations non gouvernementales ont été conviées à participer aux travaux de la plateforme ZEP, lors de sa constitution, afin d’y représenter la société civile, faire prendre en compte la perception par l’opinion publique et préparer la communication adéquate pour l’informer.
Économique
Comme d’autres mesures de protection de l’environnement, il est attendu que la mise en œuvre du CSC implique un surcoût. Il s’agit d’abord de l’évaluer, une fois la faisabilité du concept établie, de le réduire par optimisation des procédés, puis de définir quels mécanismes permettent d’en couvrir la charge.
Organisationnel
La réalisation de la gestion opérationnelle d’une chaîne complète de CSC nécessite la mise en œuvre intégrée d’un large éventail de compétences et savoir-faire qui ne sont en principe ni disponibles ni maîtrisés au sein d’une compagnie opératrice unique, ne serait-ce qu’au niveau de la maîtrise d’ouvrage. Des métiers très variés sont sollicités, dont certains, comme la production d’électricité, sont habitués à de faibles marges, à l’image du laboureur sédentaire, alors que d’autres, plus familiers de la gestion du risque géologique, exigent en retour une rémunération plus rapide et plus importante pour compenser les aléas, comme le chasseur-cueilleur nomade.
Le choc de cultures qui en résulte apporte, dans le jeu des acteurs bien réels, un cortège d’incompréhensions réciproques conduisant à des heurts d’autant plus difficiles à surmonter qu’elles ne sont pas attendues a priori, voire même identifiées comme telles.
Les trimestres de démarrage de la plateforme ZEP, dont l’objet est la réduction des émissions de CO2 anthropique dans l’atmosphère en développant son stockage géologique, en fournissent une illustration ; ils ont été marqués par une querelle qui a manqué de peu de la faire voler en éclats. D’un côté, des producteurs d’électricité à base de charbon insistent sur l’urgence d’augmenter le rendement des centrales électriques afin de limiter la consommation de combustible et, par conséquent, les quantités de CO2 rapportées à l’énergie produite. De l’autre, des opérateurs pétroliers, qui portent le discours sur «l’opportunité magnifique de développement d’activité que leur apporte le CSC», se sont opposés à l’idée de réduire à la source la quantité de CO2 à stocker. Au bord de la rupture, où tous auraient eu à perdre, un modus vivendi a fini par s’établir, ce qui a permis de travailler plus sereinement dans les groupes.
Dix ans plus tard, alors que l’usage du charbon souffre d’une très mauvaise presse, en Europe notamment, la perception du concept de CSC est très différente entre les opérateurs électriques et pétro-gaziers. Les premiers le voient comme une contrainte lourde susceptible de doubler leurs coûts de production, voire de l’interdire si un certain nombre de verrous ne sont pas supprimés. A côté des plus optimistes, certains des seconds estiment qu’il y a des incertitudes importantes sur les capacités géologiques de stockage effectivement accessibles en un demi-siècle, notamment dans des régions du monde fortement émettrices. Beaucoup s’interrogent sur la pertinence d’un modèle d’affaires (business model) de la fourniture du service de stockeur de CO2.
Dans pareil contexte, la publicité faite par un des plus grands opérateurs du nord de l’Europe pour le gaz qu’il extrait, en évoquant une production d’électricité respectueuse du climat avec réduction de moitié des émissions de CO2, sert ses intérêts et véhicule un message partiellement exact. Néanmoins son affichage dans l’aéroport de Düsseldorf, au cœur même de la région charbonnière historique de la Ruhr, ne rend pas plus harmonieux le jeu des acteurs.
Le captage du CO2
L’usage du charbon pour la production d’électricité couvre, en 2014, 43% des besoins dans le monde ; il constitue la plus importante part des sources anthropiques fixes du CO2. Ceci n’est pas le cas pour la France en raison de la prépondérance historique des parcs de production hydraulique et nucléaire. Néanmoins, ce n’est pas à la sortie des chaudières de centrales que le CO2 est le plus facile à capter, en raison d’une teneur de 15% environ dans les fumées. Des flux beaucoup plus concentrés en CO2 sont produits dans les procédés de production d’ammoniac, d’engrais (Reformage catalytique du méthane ou CMR selon l’acronyme en anglais) et d’hydrogène. Les coûts énergétiques de séparation des autres gaz et de purification y sont beaucoup moins élevés. L’extraction du CO2 des gaz naturels, dits acides et qu’il rend impropres à la consommation, est pratiquée industriellement depuis des décennies. Elle est réalisée pour autant que la valorisation du gaz en couvre le coût. La transposition de ces technologies de séparation aux fumées de combustion du charbon doit surmonter les écueils résultant de plusieurs facteurs.
Le premier est la taille des équipements pour traiter des flux gazeux, plus importants d’un ou plusieurs ordres de grandeur. Elle induirait un doublement des investissements à un horizon de quinze ans à condition que, sur cette durée, le coût des installations additionnelles soit réduit d’un facteur trois à quatre pour le ramener au niveau de celui d’une centrale au charbon sans captage.
Vient ensuite la présence d’impuretés résiduelles dans les fumées de charbon. Les moyens de dépollution, requis par les législations sur les grandes installations de combustion (poussières, oxydes de soufre et d’azote…), en extraient une partie mais un complément de traitement de leur acidité résiduelle sera nécessaire (polishing).
Troisième facteur, la perte énergétique pour la séparation, la purification et la compression du CO2 en phase dense à plus de 80 bars avant son transport. En une quinzaine d’années, pour une centrale au charbon moderne dont le rendement approche de 45%, la dépense énergique pour les meilleurs procédés a été évaluée à la baisse de 12 points de rendement à 8 points, notamment grâce à un pilote de recherche en captage de CO2 construit au Havre (F. Giger, F. Chopin, J.F. Lehougre, «CCS Pilot Project Le Havre: a stepping stone in EDF Group tackle of the CO2 challenge», VGB PowerTech, Essen, 3/2015.). Ceci réduirait néanmoins le rendement global de la centrale équipée à 37%. Le minimum théorique de perte énergétique selon la théorie de la thermodynamique se situe aux alentours de 5 points de rendement. Ainsi, pour la même production d’électricité, une quantité supplémentaire de 10 à 20% de charbon devient nécessaire pour faire fonctionner le captage et la compression avant transport, c’est-à-dire en fait diviser par 10 l’émission à l’atmosphère.
Enfin vient la complexification du processus de production, car nombre de procédés de captage relève de domaines de chimie industrielle, discipline moins répandue chez les opérateurs des centrales thermiques et moins bien appréhendée par leurs structures de management (risque de manipulation des réactifs, évacuation des déchets, éventuelles pertes de flexibilité…).
Le transport de CO2
Ce segment ne pose a priori pas de difficultés car il est déjà pratiqué à l’échelle industrielle aussi bien par petits caboteurs en mer que par gazoducs sur des centaines de kilomètres en Amérique du Nord.
La cartographie du système de transport à établir dépendra de la distance des centrales à équiper aux sites de stockage, c’est-à-dire de leur localisation relative sur lesquelles il est prématuré de disserter.
Les problèmes à résoudre relèveront probablement d’autres types d’obstacles.
Le premier est l’acceptation sociétale pour la traversée de zones géographiques à forte densité de population et où le kilomètre de canalisation traverse en moyenne une trentaine de propriétés dont chaque détenteur aura son avis sur la chaine CSC complète et, en particulier, sur le bien fondé du stockage géologique de CO2,
Second obstacle, la taille de l’investissement en réseau de transport à réaliser, dont l’ordre de grandeur se compare, en Europe, à celui du réseau des gazoducs dont la construction a duré des décennies. Le temps nécessaire sera impacté par la durée des procédures d’autorisation et, éventuellement, d’expropriation. Les coûts d’infrastructure dépendent de la géographie d’implantation (plaine, montagne et mer) croissant proportionnellement à la distance mais bénéficiant d’un effet d’échelle avec les débits transportés.
Le stockage géologique de CO2
Les difficultés inhérentes à ce sujet, du moins en Europe, ont été largement sous-estimées il y a quinze ans et ne font encore aujourd’hui pas l’objet d’un consensus entre experts.
La référence, présentée en 2006 par Statoil, de 10 ans d’injection d’un million de tonnes de CO2 par an à Sleipner en Mer du nord Norvégienne a engendré l’opinion qu’il était possible de trouver des aquifères, remplis d’eau salée impropre aux consommations usuelles, de grande extension (multidécakilométrique) et à porosité élevée, supérieure à 20%. Sur cette base, la réalisation du segment transport stockage ne devait pas rencontrer de difficulté propre. Son coût ne devait pas dépasser 15 à 20% du coût total de CSC et l’essentiel des regards et des efforts se sont portés sur le captage dans le périmètre géographique des centrales. Quelques autres réalisations comme In Salah au Sahara, la disponibilité prochaine de champs pétroliers ou gaziers en fin d’exploitation en mer du Nord et les nombreuses opérations de récupération assistée de pétrole réalisées depuis les années 1970 en Amérique du Nord notamment (EOR pour Enhanced Oil Recovery) ont entretenu un certain temps cette posture optimiste.
De multiples études à caractère géologique ont couvert une mosaïque de régions en Europe jusqu’à ce que l’on commence à s’apercevoir, au moment de les rassembler, qu’elles avaient été réalisées selon des approches très différentes, voire non compatibles, rendant impossibles des synthèses régionales. Des hypothèses très dimensionnantes comme la porosité moyenne des réservoirs aquifères étaient prises avec des valeurs dispersées. Plus grave, les mesures in situ, au fond de puits de reconnaissance, semblent trop peu nombreuses pour étayer des certitudes. L’explication serait que les horizons géologiques recherchés pour le stockage, c’est-à-dire à une profondeur de plus de 1000 m requise pour maintenir le CO2 en phase dense, n’ont pratiquement été traversés que par les puits des opérateurs pétroliers et gaziers. Ces derniers ont focalisé leur attention sur les niveaux à hydrocarbures et ont très rarement réalisé des mesures détaillées, d’injectivité (note de bas de page : capacité à injecter des fluides depuis le puits dans la roche environnante) en particulier, dans les niveaux purement aquifères, ceux–là mêmes qui sont actuellement recherchés comme cibles pour le stockage du CO2. Quant aux aquifères qui se trouvent avoir été traversés pour les besoins de l’exploitation de niveaux sous-jacents, ils sont maintenant percés de puits. Ces derniers ont initialement été cimentés pour résister au contact de l’eau en place mais, sauf exception, sans anticiper la présence ultérieure de CO2 susceptible de l’acidifier.
L’enseignement du projet France-Nord, sur une zone comprenant le Bassin Parisien et couvrant la moitié a priori la plus propice de la surface de la métropole, a apporté des éléments de compréhension complémentaires. Il a été réalisé par un consortium regroupant notamment les principaux industriels et organismes français compétents en géoscience avec le soutien de l’ADEME. L’objectif était de réaliser un pilote d’injection, pour autant qu’un espoir raisonnable de pouvoir ultérieurement injecter 200 millions de tonnes de CO2 en 40 ans, puisse être établi. Cette quantité correspond à l’émission d’une tranche au charbon au standard actuel (1000 MW en base). Les travaux antérieurs laissaient espérer un potentiel de 30 gigatonnes. Les résultats, largement publiés, ont montré que plusieurs sites seraient nécessaires pour approcher l’objectif en volume de pores mais que la perméabilité n’était pas compatible avec le rythme d’injection fixé pour 40 ans. Au delà de la volumétrie statique, le facteur dynamique d’injectivité s‘avère rédhibitoire, facteur non évoqué dans la grande majorité des publications mondiales sur le sujet. D’où la question : « Avons-nous surestimé les capacités de stockage de CO2 dans les aquifère salins ? » (S. Thibeau & V. Mucha, «Have we overestimated saline aquifer CO2 storage capacities?”, IFP Energies nouvelles, vol. 66 (2011) n°1 pp. 81-92).
Perspectives
Captage
La réduction des coûts d’investissement et de fonctionnement du captage doit résulter tant de l’expérience acquise sur des réalisations de taille industrielle que de travaux de recherche plus fondamentaux aboutissant à des ruptures technologiques.
Le rééquipement de la tranche Boundary Dam 3 au Canada (Saskatchewan), de puissance initiale de 139 MW, a été décidé en février 2008. L’investissement consenti, de 1,5 milliards de dollars canadiens au total, a largement été soutenu par des subventions. Il a permis de porter la puissance brute de la tranche à 160 MW, puis le démarrage en octobre 2014 de l’installation de captage en post combustion aux amines. Le coût de cette dernière atteindrait un coût de 6000 dollars américains / MW installé. La puissance utile de la tranche a été ramenée entre 110 et 120 MW du fait de la pénalité énergétique de 40 à 50 MW. Le coût de la tonne de CO2, dont l’émission à l’atmosphère est évitée depuis la centrale, atteindrait 100 dollars canadiens. La valeur de vente du CO2 capté pour les besoins de récupération assistée de pétrole sur le champ de Weyburn n’est pas communiquée officiellement mais pourrait se situer vers 25 dollars la tonne.
Le projet de la centrale au lignite de 582 MW de Kemper County aux Etats-Unis (Mississippi) a été décidé en 2010 et met en œuvre la gazéification. Son démarrage est prévu en 2016 pour un budget total de 6,2 milliards de dollars américains, avec un surcoût de 9500 dollars / MW installé pour le captage.
Au plan technique, la réduction de la pénalité énergétique fait l’objet d’efforts importants pour économiser le combustible afin de réduire des coûts mais aussi dans une perspective de développement durable. Toutefois, le mode d’évaluation de la pénalité énergétique varie selon les actions et une norme internationale est nécessaire pour pouvoir effectuer des comparaisons. Son élaboration est en cours au niveau de l’ISO (International Standard Organization).
Comme les procédés des industries chimiques requièrent en général un fonctionnement stable, un effort doit être consenti pour améliorer la flexibilité des installations de captage de CO2 afin de ne pas pénaliser les unités de production d’électricité qu’elles équiperont. La mise en parallèle de trains couvrant, par exemple, la moitié ou le tiers du flux des fumées à charge totale est une voie de développement. Elle semble notamment très prometteuse pour la technologie d’oxy-combustion. Cette dernière, qui consiste à procéder à une combustion avec de l’oxygène pour éviter de devoir séparer l’azote de l’air des fumées, apporte même un potentiel intéressant de flexibilité si l’on produit et stocke pendant les heures creuses de l’oxygène à utiliser pendant les pointes de consommation.
Transport
Déjà pratiqué à large échelle en Amérique du Nord, le transport de CO2 peut être considéré comme une technologie maîtrisée.
Stockage géologique
En raison de la diversité d’opinions des experts, il est nécessaire d’établir une méthodologie faisant l’unanimité pour évaluer les potentiels régionaux de stockage. Une amélioration de l’appréhension des mécanismes dynamiques dans les aquifères pendant la période d’injection, puis ultérieurement, est requise, ne serait-ce que pour savoir de combien d’ordres de grandeur le volume des pores en place doit être abattu pour fournir un volume de stockage de CO2 accessible en quelques décennies. Des concepts, comme l’extraction d’eau des gisements aquifères pour y libérer de la place pour le stockage de CO2, méritent d’être évalués, sans oublier que chaque site géologique est un cas particulier à appréhender comme tel.
Des reconnaissances par forage, comprenant notamment des tests d’injectivité, et la réalisation d’installations pilotes d’injection, seront nécessaires pour caractériser la plupart des grands aquifères profonds d’eau salée car ils ont assez peu été explorés, ne présentant pas d’intérêt économique jusqu’à présent. Si des espoirs raisonnables peuvent être formés pour l’Amérique du Nord, des résultats obtenus à terre en Europe sont plutôt décevants et la situation de la Chine et de l’Inde nécessite des études et des reconnaissances approfondies.
Deux autres thèmes, non techniques, doivent êtres traités pour permettre le stockage géologique du CO2. Il s’agit de l’acceptation par le public, en particulier pour le stockage à terre (onshore), dont force est de constater qu’elle n’a pas progressé en dix ans, et de l’établissement d’un modèle d’affaires de stockage de CO2 ; avant de s’engager dans une telle activité, un opérateur en géoscience aura besoin de couvrir à la fois les risques d’ordre géologique, de marché et opérationnels pour nourrir l’espérance d’une rémunération adéquate.
*
Le CSC constitue la seule voie technologique susceptible de concilier la poursuite de l’usage massif du charbon dans le monde et l’atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les conditions de son succès sont notamment la réduction des coûts de captage d’un facteur 5 et l’identification précise des ressources de stockage géologique ; dans les zones de consommation du charbon, en particulier en Chine et en Inde, des tests d’injectivité sont à réaliser au fond de puits de reconnaissance pour prouver l’accessibilité de réservoirs de stockage au rythme requis.
L’effort industriel à déployer sur une vingtaine d’années est considérable ; pour le captage, il convient d’implanter un ensemble d’installations dont la taille cumulée se compare à celle de l’industrie mondiale de raffinage, pour le transport, à celle des réseaux de transport de gaz naturel et, pour le stockage, aux infrastructures d’exploitation des plus grands gisements de pétrole et de gaz.
Les pouvoirs publics souhaiteront-ils mettre en place les mécanismes mondiaux de financement de ces efforts et gagner l’acceptation du public ? Au jour de l’ouverture de la COP 21, c’est une question ouverte.
—
Cet article sera publié en volume dans un ParisTech Book intitulé Transitions énergétiques, pour quelle qualité de vie? à paraître début 2016.
More on paristech review
On the topic
- Série Transition énergétique – Faut-il croire au charbon propre ?By ParisTech Review on October 15th, 2013
By the author
- Captage, transport et stockage du CO2: où en est-on?on November 7th, 2015
Pingback: Captage, transport et stockage du CO2: où...
Pingback: Captage, transport et stockage du CO2: où...
Pingback: Revue des sciences décembre 2015 | Jean Zin
Pingback: Captage, transport et stockage du CO2: où...
Pingback: “巴黎之后”系列(5):CO2捕捉与存储,现状如何? - 上海交大巴黎高科评论
Pingback: After Paris-5-Carbon capture and storage: what’s up? - SJTU ParisTech Review