Arduino: notre vrai patron, c’est la communauté

Photo Federico Musto / Président-directeur général, Arduino / October 28th, 2015

Communauté ouverte et intelligence collective jouent désormais un rôle majeur dans de nombreux domaines autrefois réservés aux organisations et aux institutions. « Nous nous éloignons du monde impersonnel de la production institutionnelle, au profit d’une nouvelle économie autour des connexions et des récompenses sociales », explique ainsi la futurologue Marina Gobis dans son livre The Nature of the Future. Elle nomme ce processus « socialstructing. » La force motrice derrière le socialstructing, ce sont les nouvelles technologies, qui sont intrinsèquement sociales et personnelles. « Elles nous aident à créer des communautés autour d'intérêts, d’identités et de défis personnels communs », et créent parfois de « nouveaux produits, services et savoirs qu'aucune institution n'est en mesure de fournir », explique Marina Gobis. Dans le domaine des affaires, où le socialstructing a manifesté sa plus grande puissance, nous avons assisté à l'émergence et à l'évolution de Linux, d’Android et aujourd’hui du matériel en open source, dans le sillage de l’Internet des objets. Des entreprises d'un genre très particulier sont issues de ce mouvement. Arduino, entre plateforme communautaire et fournisseur de cartes pour les imprimantes 3D, est le leader mondial dans son domaine.

SJTU ParisTech Review – Considérez-vous Arduino aujourd’hui comme une grande ou une petite entreprise?

Federico Musto – Nous sommes une petite entreprise. Fondamentalement, il n’y a pas de différence entre ce que nous sommes aujourd’hui et ce que nous étions il y a 10 ans. Simplement, nous avons été en mesure de construire très rapidement une énorme communauté. Donc, nous sommes une petite entreprise, avec une énorme communauté derrière nous.

Quelle est exactement la taille de cette communauté?

Il est très difficile de la mesurer exactement. Pour avoir une idée, vous devez seulement savoir que chaque mois, plus de 100 000 personnes nous rejoignent. En Chine, il y a des millions de makers qui utilisent des cartes Arduino pour construire leurs projets. C’est une population très diverse, des écoliers qui se bricoler une machine à casser les noix de coco aux ingénieurs qui veulent prototyper un produit de l’Internet des objets.

En Chine, une grande partie de la communauté est constituée d’enseignants, qui ont joué un rôle crucial dans l’ensemble de l’écosystème. Ils créent une documentation qui peut être utilisée pour enseigner notre technologie dans les écoles. Il y a un vaste mouvement en Chine sur la façon d’éduquer et de partager des connaissances et des technologies.

Comment organiser et gérer une telle communauté?

Nous ne contrôlons pas la communauté ; elle se développe par elle-même. En tant que société, nous aimerions avoir certaines filiales dans les pays de marché majeur afin de pouvoir aborder la presse et participer à des salons. Mais ce qui est encore plus important pour nous, c’est se rapprocher des gens en direct et en temps réel, ce qui peut nous aider à mieux comprendre les communautés.

Vous avez un organisme dédié, au sein d’Arduino, pour organiser l’interface entreprise-communauté ?

Oui, nous avons une équipe, mais elle ne compte que quatre personnes. Leur responsabilité principale est simplement de parler aux gens, et en particuliers aux leaders communautaires qui jouent un rôle de prescripteur sur les réseaux sociaux. Mais il y a des millions de gens dans cette communauté, qui déborde largement l’entreprise proprement dite. Ce n’est pas nous qui manageons la communauté, mais la communauté qui nous donne des directives.

La beauté de la Communauté, c’est qu’elle est plus grande que la plus grande entreprise du monde, même de Foxconn. Et c’est passionnant de saisir la diversité d’une communauté animée par des gens venant d’horizons très différents, étudiants, ingénieurs, professeurs, entrepreneurs de startups. Souvent, les membres appartiennent à des firmes qui sont en concurrence les unes avec les autres, mais dans cette communauté open source, ils ne s’en soucient pas vraiment. Il n’y a pas de frontières. C’est vraiment une organisation mondiale.

Y a-t-il, dans la nature de votre entreprise, quelque chose de spécial qui l’amène à continuer à avancer?

Oui, il y a une certaine direction qui oriente toute notre action. Au lieu de choisir une technologie existante, nous aimons travailler sur quelque chose qui est en cours d’élaboration. Nous avons à cœur d’expliquer des technologies futures d’une manière très facile et de les rendre utilisables par tout le monde. C’est le point clé. Nous apprenons de la communauté. C’est ainsi que nous avons réussi à croître depuis nos débuts, il y a environ 10 ans.

Pour ma part, je n’ai rejoint Arduino que l’an dernier, mais la compagnie (Red Hat) pour laquelle j’ai travaillé auparavant a également fondé son modèle sur un système de logiciels libres, Linux, qui s’est révélé une méthode très efficace pour intégrer les gens. L’autre exemple est Android, avec lequel tout le monde aujourd’hui peut écrire du code source pour les téléphones intelligents. Bien sûr, vous avez des fabricants de smartphones professionnels, mais Android vous permet de créer quelque chose qu’ils ne peuvent pas fournir. C’est la même chose pour Arduino. Toutes les imprimantes 3D, au début, utilisaient des cartes Arduino. Des organisations comme Linux, Android et Arduino non seulement rendent la technologie intéressante, mais elles aident aussi à créer de nouvelles industries. L’open-source et la communauté créent un langage que tout le monde peut parler.

Grâce à la contribution de la Communauté, les mises à jour et nouvelles versions des produits d’Arduino sont de plus en plus rapides. Avez-vous rencontré des difficultés avec la communauté lorsque vous intégrez ces contributions volontaires dans vos produits et que vous les monétisez ?

Jusqu’à présent, la réponse est non. Mais il est vrai que nous avons commencé à penser à récompenser les contributeurs, et la réponse est la Fondation Arduino. Nous l’utilisons non seulement pour remercier la communauté qui nous a aidés, mais aussi pour aider les ingénieurs et enseignants dans leurs loisirs, leurs rêves et leurs carrières. Avec cet argent, nous pouvons aussi inviter les gens à se joindre à nous, pour établir un contact réel, poser des questions et écouter leurs questions, diffuser des idées, et enfin élargir encore l’écosystème pour le rendre plus puissant.

Réinvestir une partie des bénéfices au profit de l’écosystème est aussi un bon moyen de protéger notre marque Arduino, la seule propriété intellectuelle dont l’usage ne soit pas libre ici. Les consommateurs sauront que s’ils achètent un produit original d’Arduino, une partie de l’argent versé à l’entreprise ira vers la communauté, où des milliers d’enseignants et de développeurs contribuent aux nouvelles technologies. Si vous choisissez d’acheter un faux, il est certain que tout l’argent ira à une seule personne : le faussaire.

Au bout du compte, que signifient open source et communauté ouverte pour Arduino?

En un sens, la communauté est le véritable patron d’Arduino. Nous avons fait une fois une grave erreur à cet égard. Vous savez sans doute qu’il y a une scission du noyau fondateur de l’équipe d’Arduino, ce qui a conduit à une conséquence regrettable : un des plus importants leaders communautaires s’est tourné vers notre concurrent. Quelle déception !

Est-ce le côté obscur de la communauté ouverte — le fait que les gens peuvent choisir de partir quand ils le souhaitent, et qu’ils peuvent emmener avec eux ce qu’ils ont acquis au sein de la communauté, y compris des actifs stratégiques?

Ce n’est la communauté qui est en cause, elle n’a rien fait de mal. Le problème est survenu parce que nous avons pris la très mauvaise décision de commencer à nous discuter au sein du noyau de la société. Mais le point positif est que cela nous a permis de réaliser à quel point il était mauvais de se séparer : Arduino n’appartient ni à une entreprise, ni à une personne. Nous devrions nous-même nous comporter comme une communauté, sous peine d’échouer. Nous avons cicatrisé les blessures et a regagné la confiance des uns des autres. Nous constatons à présent une nette hausse des ventes. Ouvrir les esprits a permis de redémarrer le business.

Nous voulons également maintenir cet état d’esprit avec la Fondation Arduino, en confiant le contrôle non pas à un dirigeant mais à une organisation qui est ouverte et représente pleinement la communauté derrière elle. Chaque dollar qui entre et qui sort sera visible par tous sur le site Web de la Fondation. Nous, l’équipe de direction de l’entreprise, voudrions être des ambassadeurs — pour entrer en contact et communiquer avec des gens différents dans le monde pour recueillir des suggestions et des exigences.

De plus en plus de fabricants de puces, grands et petits, entrent sur le marché des cartes d’imprimantes 3D. Sera-ce une grande pression pour Arduino?

Pour obtenir un produit utilisé par autant de personnes que possible, il faut être open source, sans secrets, et travailler avec des millions d’individus ordinaires à travers le monde. Je crois que dans notre domaine c’est la bonne façon de faire la R&D et de faire progresser la technologie. Mais si vous partez de zéro, il faudra des années pour construire une communauté. IBM en est-il capable? Et le souhaitent-ils ? Je ne sais pas. Par ailleurs, pensez-vous qu’Intel va publier les codes matériels et logiciels de chaque puce qu’ils fabriquent ? Je ne pense pas.

Encore une fois, avec ce nouveau modèle d’affaires, nous sommes en mesure de pousser la R&D à un niveau supérieur à un rythme très élevé. Tout se ramène à la communauté. Je continue à croire que l’association de beaucoup de gens permet de penser et de faire beaucoup mieux que n’importe quel organisme ou personne isolée.

Note de la rédaction. Cet article a été publié dans notre édition chinoise, développée avec l’Université Jiao Tong de Shanghai, SJTU ParisTech Review.

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