Recherche et innovation en Chine: quatre scénarios pour 2025

Photo Stavros Mantzanakis / Directeur, Phemonoe Lab et Emetris Consulting / October 8th, 2015

Un rapport récemment publié, intitulé «Chine 2025: le paysage de la R&I», dégage 16 facteurs déterminant l’environnement de la recherche et de l’innovation en Chine. Une méthodologie originale, utilisant le crowdsourcing, permet de faire apparaître quatre scénarios très différents. SJTU ParisTech Review a interviewé le principal auteur du rapport.

La Chine est devenue l’une des puissances politiques et économiques les plus influentes. La capacité de ce pays à soutenir un développement à long terme est dès lors un enjeu global. Un rapport récemment publié, intitulé « Chine 2025 : le paysage de la R&I », dégage 16 facteurs déterminant l’environnement de la recherche (R) et de l’innovation (I) en Chine. Ce rapport a été réalisé en combinant une analyse sur données et documents, une étude Delphi et les résultats d’une plateforme de crowdsourcing.

Après avoir appliqué une Analyse d’Impact de tendances et une Analyse Cross-Impact sur ces 16 facteurs, tout en tenant compte des signaux et des possibilités très peu probables, mais qui pourraient provoquer un changement radical soudain et rapide, les auteurs du rapport aboutissent à quatre scénarios pour 2025:

Yin & Yang – Un pouvoir central fort, qui réussit, combiné à une plus grande ouverture et une économie florissante : cela aboutit à une communauté de recherche de très haut niveau en 2025.

Blue Jasmine – Des conflits ouverts au sein du pouvoir pour relancer une économie nationale frappée par une crise mondiale et affectée par la relocalisation des industries manufacturières étrangères.

Dungeons & Dragons – Gouvernance moins ouverte et système judiciaire encore insuffisant : résultat, un développement toujours fondé sur les entreprises d’Etat, mais qui semble encore réussir en 2025.

Breathless Queen – Une Chine malade, avec une économie nationale en piteux état et une société brisée.

Le développement économique et la gouvernance politique sont à l’évidence les facteurs-clés.

L’étude a été réalisée par Phemonoe Lab (Emetris) et PRAXI/FORTH i dans le cadre du projet « Dragon-Star », financé par la Commission européenne, qui vise à contribuer au dialogue bilatéral entre l’Union européenne, ses États membres et la Chine.

Autour de ce rapport, SJTU ParisTech Review a interviewé le directeur de Phemonoe, Stavros Mantzanakis.

SJTU ParisTech Review – La méthodologie de ce rapport, fondée sur des scénarios, est caractéristique des travaux de prospective. Quels sont ses avantages et ses limites ?

Stavros Mantzanakis – En nous appuyant sur les outils et méthodologies de nos réseaux et partenaires du monde entier, nous pourrions dire que les scénarios sont parmi les moyens les plus commodes pour présenter des informations complexes aux décideurs et au public. Les possibilités futures semblent plus réelles. Les scénarios aident à élaborer des plans qui tiennent compte d’un large éventail de futurs possibles, et ce faisant ils aident à gérer l’incertitude. C’est ici qu’il y a une connexion, et même un alignement, avec la planification stratégique. C’est l’un des principaux avantages de cette méthode.

Un autre avantage est que le processus d’élaboration de scénarios peut aider les décideurs à développer leur capacité d’anticipation. Face à des changements rapides et complexes, ce processus augmente la capacité de l’esprit à anticiper et l’aide ainsi à mieux gérer l’incertitude qui est au cœur du futur.

Mais les scénarios ont une faiblesse : lorsqu’on les montre à des non-participants, ils peuvent être confondus avec un « ensemble officiel d’avenirs possibles », ce qui va du même coup contrôler ou limiter leur capacité à penser. Les scénarios ont une grande capacité à influencer le lecteur, de manière subtile, et notamment à lui faire endosser les hypothèses des auteurs sur les causes et les effets. Le modèle mental du fonctionnement du monde adopté par les auteurs est ainsi transféré au lecteur, qui aura tendance à l’accepter sans prendre conscience de son caractère partiellement arbitraire. Une façon d’éviter ce problème consiste à impliquer les acteurs, y compris les principaux « lecteurs », dans le processus de construction des scénarios.

Les scénarios enfin peuvent s’avérer inutiles lorsque leurs auteurs craignent d’être critiqués pour lancer des hypothèses qui ressemblent à de la science fiction, ce qui les amènerait à perdre toute crédibilité auprès des décideurs. Il arrive que les éditeurs de ces scénarios en retranchent des éléments controversés. C’est d’autant plus dommage que l’exercice de la prospective a précisément pour intérêt de stimuler la réflexion dans un environnement où la « vérité » n’est pas perceptible, et où par conséquent toutes les possibilités doivent être intégrées à la discussion. Si seules les hypothèses conventionnelles sont discutées, il n’y a aucune raison d’essayer des alternatives. Au demeurant, même lorsque le non-conventionnel est discuté, on l’oublie souvent plus tard, lorsque les événements se produisent.

Il faut également rappeler que, parfois, des scénarios sont écrits pour être évités. Les scénarios sur le réchauffement climatique, au cours des dernières décennies, ont été écrits pour examiner comment ils pourraient se produire, afin d’analyser les meilleures façons d’empêcher qu’ils ne le fassent.

Pourquoi avez-vous choisi un horizon de dix ans pour construire l’analyse et les projections ?

Il y a un cadre temporel où les gens peuvent faire des prévisions et élaborer des plans d’action à l’aide de données quantitatives. Il y en a un autre où les prévisions deviennent floues et très incertaines : là, vous pouvez utiliser des scénarios fondés sur les tendances et des facteurs, difficiles à identifier, mais qui permettent de tracer des lignes au sujet de certains futurs possibles, à partir de données plus qualitatives. Et puis, il y a l’horizon de l’espoir et de la peur, où l’incertitude est extrêmement élevée. Voilà pour le contexte général de la méthodologie. Pour cette étude, en particulier, nous voulions fournir aux autorités européennes des données et analyses pour la prochaine période de programmation qui commence à partir de 2020. Nous avons donc dû choisir une date après 2020, mais pas trop éloignée afin de pouvoir produire des analyses exploitables.

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16 facteurs de changement, indexés en fonction de leur importance. Source « China 2025: Research and Innovation Landscape »

Comment la plateforme de crowdsourcing a-t-elle contribué à la collecte des données et à la formation des conclusions ?

« Τhe Co:tunity » est une application web et smartphone multifonction qui permet de faire émerger des tendances auprès d’un panel plus large que les experts habituels. Elle a été développée par Kairos Future et fournie à l’équipe de Dragon Star. Elle a servi à recueillir, à partager, à élaborer et à analyser les tendances et idées, mais aussi à valider les résultats de notre recherche. Beaucoup de gens l’ont utilisée pour fournir un certain nombre d’idées fraîches qui nous ont permis d’affiner les tendances et les grands scénarios.

La capacité d’innovation de la Chine fait débat. Certains pensent que la Chine est innovante et qu’elle est appelée à jouer un rôle majeur en la matière ; d’autres craignent qu’elle ne rattrape jamais le Japon et les Etats-Unis. Qu’en pensez-vous ?

La force principale de la Chine au cours des dernières décennies a été et reste ses capacités de fabrication, avec l’échelle, la vitesse d’exécution, le savoir-faire industriel, la taille du marché intérieur et l’esprit d’entreprise bien connu du peuple chinois. Mais pour construire un nouveau modèle économique et devenir le leader mondial, la Chine doit améliorer sa capacité académique, où la recherche fondamentale est encore à la traîne. L’ensemble de l’écosystème et les institutions doivent être favorables à l’innovation.

Dans votre rapport, on voit que certains facteurs importants pour le futur de la R & I ont peu de chance de se produire, par exemple la transformation de l’éducation et les progrès en matière de propriété intellectuelle. Quels sont à cet égard les défis pour les dirigeants chinois?

Au cours des dernières décennies, la Chine a réussi à transformer un système d’éducation d’élite en un système d’éducation de masse. À présent, pour maintenir sa croissance et devenir un leader mondial de l’innovation, elle doit faire tout ce qui est possible pour augmenter le taux d’inscription et de réussite, à tous les niveaux et notamment dans l’enseignement supérieur. Beaucoup de réformes ont été faites et davantage encore sont nécessaires pour réduire les inégalités, accroître la confiance, encourager la créativité et maintenir les dépenses publiques d’éducation à un niveau élevé.

En ce qui concerne la propriété intellectuelle, beaucoup reste à faire. Des lois ont été votées mais le défi, pour le gouvernement, est la mise en œuvre de cette législation, aujourd’hui insuffisante, et l’importance des efforts et des ressources consacrés au respect des droits de propriété intellectuelle. Un environnement solide, inspirant confiance, sera favorables aux PME locales qui cherchent à innover.

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16 facteurs de changement, indexés en fonction de leur probabilité. Source « China 2025: Research and Innovation Landscape »

Que penser des signaux faibles ou des événements peu susceptibles de se produire, comme un accident nucléaire ? La croissance rapide masque beaucoup de problèmes en Chine, qui rendront le futur très difficile à prévoir.

Étant donné que je ne suis pas familier avec ce sujet, je préfère ne pas y répondre.

Parmi les tendances fortes, pourquoi ne voit-on pas les « infrastructures de la technologie », qui ont pourtant joué un rôle déterminant pour le futur de la gouvernance, de l’éducation et de l’investissement ?

L’« infostructure », comme on dit, peut être considérée comme un actif stratégique ; je n’y verrais pas tant un facteur que le résultat d’un certain nombre de choix politiques et stratégiques.

Dans un monde interconnecté, y a-t-il encore une place pour la diversité culturelle, qui est un élément essentiel de la créativité et de l’imagination humaine ?

Vous avez parfaitement raison de poser la question, mais on peut considérer que dans un monde encore plus ouvert, où l’innovation et la concurrence se jouent à l’échelle globale, la culture est une ressource ; dans le cas de la Chine, en particulier, la puissance de sa culture la prédispose à jouer un rôle de leader : elle ne jouera pas simplement sur sa différence (et sur la créativité associée à cette différence), mais sur sa capacité à imposer son imaginaire et ses références.

Dans le rapport, la population et l’urbanisation n’apparaissent pas comme des facteurs de changement spécifiques. Pourquoi ?

Je pense que les personnes qui ont répondu à notre questionnaire considèrent pour la plupart que si ces moteurs de changement ont joué dans le passé un rôle important, avec notamment l’abondance de main d’œuvre, à un horizon de dix ans ce n’est plus le cas. Le rapport précise néanmoins que la poursuite de l’urbanisation sera un facteur déterminant pour le modèle d’activité de la Chine, en favorisant les petites entreprises innovantes, qui se développent le plus souvent dans des écosystèmes urbains.

Quels sont les secteurs technologiques, mais aussi les zones géographiques qui sont susceptibles de s’épanouir dans les années à venir ?

Il y a différents secteurs qui pourraient s’épanouir en fonction des scénarios. Par exemple, dans le scénario « Donjons et Dragons », les principaux thèmes de recherche sont des technologies militaires, les centrales nucléaires de 4e génération, les matières premières alternatives, les hydrocarbures issus de la culture de bactéries, les technologies de l’information, les transports et l’espace, la sécurité, les capteurs, les technologies de la santé, l’eau/les eaux usées, le nettoyage, et les OGM.

En termes de géographie, notre étude ne permet pas de dégager de résultat significatif. Une nouvelle étude est en cours, qui abordera cet aspect.

Note des éditeurs. La version anglaise de cet article a d’abord paru dans notre édition chinoise, publiée conjointement avec l’université Jiaotong de Shanghai, SJTU ParisTech Review.

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