L'alimentation du futur nous réservera-t-elle des surprises? Les défis sont immenses, l'imagination humaine sans limites. De multiples innovations apparaissent aujourd'hui. Certaines sont encore dans les labos, d'autres cherchent leur voie sur le marché.

Les défis auxquels vont devoir faire face les systèmes agricoles et l’industrie agroalimentaire dans les décennies à venir sont considérables : accroissement prévisible de la population de quelque 2,5 milliards d’ici 2050, urbanisation, transition nutritionnelle se traduisant par une plus grande consommation de viande dans les pays émergents, changement climatique. L’innovation technologique est une partie de la solution, aussi bien dans le domaine de l’agriculture que dans celui de l’alimentation. Quelles sont les tendances dans ce dernier domaine ?

La lutte contre le gaspillage
La lutte contre le gaspillage fait désormais partie des priorités des institutions internationales (FAO), des États et des ONG, mais aussi des organisations professionnelles. Au total, 30 % de la production alimentaire mondiale est perdue après récolte ou gaspillées dans les magasins, par les ménages ou les services de restauration. Ce gaspillage a un coût considérable. La FAO a ainsi évalué le coût financier direct à un montant de près de 1000 milliards de dollars et le coût total à 2600 milliards de dollars, en prenant en compte outre les coûts économiques, les coûts environnementaux (au moins 700 milliards) et sociaux (1000 milliards).

Les produits les plus souvent jetés sont les fruits et légumes. À côté de la sensibilisation des consommateurs et de l’amélioration de la chaîne logistique (en particulier de la chaîne du froid), scientifiques et producteurs travaillent depuis longtemps à accroître la durée de vie des produits. Un projet international de séquençage du génome de la tomate (International Tomato Sequencing Project) piloté par l’université Cornell a ainsi été lancé en 2003. Dès 1994, la société américaine Calgene a lancé une tomate transgénique, restant ferme plus longtemps. Trop chère et peu savoureuse, elle fut un échec commercial. Plus prometteuse et plus originale semble la tomate longue conservation développée par le groupe agrochimique suisse Syngenta. Cette tomate de couleur miel et de forme allongée, dont le nom de code est FW13, ne pourrit pas, mais confit en perdant son eau à la manière d’une datte.

Parmi les nombreuses initiatives de lutte contre le gaspillage, il y a la récupération et la transformation des fruits et légumes. Un supermarché londonien promet ainsi un gaspillage zéro, grâce à la transformation en soupe de ses légumes invendus. Des entreprises se spécialisent dans la récupération des légumes invendus, comme Les Jardins de Marianne à Rungis. Une piste plus originale consiste à transformer ces fruits et légumes… en emballages.

C’est notamment le cas du « cuir de fruit », innovation de la société française CD Fruits, conçu à base de purée de fruits déshydratée. Il se présente sous la forme d’une feuille fine qui est censée résister à la chaleur et aux manipulations. Ce produit s’adresse en priorité aux industriels de l’agroalimentaire, aux professionnels de la restauration, aux pâtissiers ou aux traiteurs.

Ces emballages sont biodégradables, mais ils présentent un autre avantage : ils sont comestibles. Des produits de ce type existent déjà, composés de champignons, d’olives, de maïs. La société américaine WikiFoods commercialise ainsi des emballages conçus à base de particules alimentaires, qui peuvent même se laver avant consommation. Les produits se présentent sous la forme d’une boule avec un « cœur » au centre, qui peut être liquide, et une « peau » comestible protégeant le produit. WikiFoods commercialise ainsi des produits au yaourt, au fromage, à la crème glacée ou au jus de fruit. Ce type d’emballage comestible peut aussi être utilisé avec des liquides ou des aliments chauds.

wikipearls

Nutraceutics
L’industrie agro-alimentaire est souvent accusée de produire une alimentation trop grasse, trop salée ou trop sucrée et donc de contribuer aux problèmes de santé et d’obésité. Une vague d’innovation poursuit un but exactement inverse. Non pas seulement produire une alimentation qui ne nuise pas à la santé, mais qui soit un bienfait ?

Certes, cela fait plus d’un siècle que les grandes firmes de l’agroalimentaire communiquent sur ce thème, et des produits comme le chocolat ou le yoghourt ont commencé leur « carrière » comme des médicaments. Mais cette tendance historique est aujourd’hui en plein renouveau. Elle est notamment permise par le progrès rapide des recherches médicales sur la connaissance ultra-fine de notre flore intestinale (macrobiote), qui pourraient réserver des découvertes innombrables en matière de nutrition humaine et de santé. Mais elle profite aussi des progrès de la biologie, tant en ce qui concerne le fonctionnement du corps humain que l’utilisation et la valorisation de ressources nouvelles.

L’une des pistes les plus intéressantes est le développement des produits à base de micro-algues. La spiruline, par exemple, est une micro-algue bleue qui est à la fois riche en vitamines, en glucides, en minéraux et en oligo-éléments, tout en ayant des propriétés antioxydantes (elle contribue donc à ralentir le vieillissement de la peau), détoxifiantes, anti-cholestérol… Elle présente, en effet, la particularité de contenir les huit acides aminés que l’on trouve normalement dans les seuls produits animaux. La jeune société Algama s’est lancée dans le développement d’une boisson à base de spiruline, Springwave, en centrant son marketing sur le bien-être et la santé, mais aussi sur une image de modernité technologique à contrecourant des produits « bio » qui occupent aujourd’hui ce créneau.

La contribution de l’alimentation à la santé est aujourd’hui au centre d’une intense compétition, car c’est un marché prometteur. C’est depuis une dizaine d’années la stratégie de Danone, et le géant français a été rejoint récemment sur ce terrain par son concurrent suisse Nestlé, qui a créé en 2010 Nestlé Sciences de la santé et l’Institut des sciences de la santé en faisant l’acquisition de plusieurs sociétés spécialisées dans la recherche médicale. La division Nestlé Sciences de la santé est ainsi présentée par le groupe comme « une nouvelle industrie à la lisière de l’alimentation traditionnelle et de l’industrie pharmaceutique à travers le développement de solutions scientifiques personnalisées et la formation d’une nouvelle approche de la prévention et de la gestion de la maladie ». Nestlé entend ainsi développer des solutions nutritionnelles novatrices dans trois domaines spécifiques : les soins médicaux en lien avec le vieillissement, les soins intensifs et la chirurgie, et les soins médicaux pédiatriques.

À côté des grands groupes, des startups travaillent sur des niches. En France, l’entreprise Ynsect est ainsi spécialisée dans les « nutraceuticals » qu’elle produit à base d’insectes. Depuis 2010, Nestlé a d’ailleurs acquis plusieurs sociétés spécialisées dans la recherche médicale.

Une variante plus « légère » de ces préoccupations en termes de santé est le « cosmétofood », très prisé en Asie, qui consiste à développer des produits, comme des boissons, des yaourts ou des confiseries, qui sont bons pour la peau, le teint, etc.

Des nanos à la viande de synthèse : technologies de rupture
Le recours de plus en plus fréquent de l’industrie agroalimentaire aux nanotechnologies est également riche de promesses, même si cette piste est controversée. Dans l’industrie agroalimentaire, les nanotechnologies sont de plus en plus utilisées pour améliorer la sûreté, la traçabilité et la durée de conservation des produits alimentaires. Ainsi, les emballages contenant des nanomatériaux peuvent gagner en imperméabilité, protéger le produit des UV, des microbes, des odeurs ou de l’humidité.

Les nanos peuvent être aussi utilisées dans les aliments à proprement parler pour renforcer les arômes ou certains effets nutritionnels, réduire les graisses et les calories, augmenter les protéines et les vitamines. Ainsi, par exemple, l’huile active de Shemen Industries permet de limiter l’entrée du cholestérol dans le sang, le substitut alimentaire Nanotrim de Nanonutra brûle les graisses et le chocolat de RBC LifeSciences est peu sucré sans altération de son goût.

L’un des principaux enjeux pour les systèmes agricoles et l’industrie agroalimentaire reste de produire plus, notamment de la viande, mais sans dommages environnementaux. Le production agricole et surtout de viande ont, en effet, un impact important sur l’environnement alors même que la FAO estime que d’ici 2050, la production alimentaire devrait croître de 70 % pour satisfaire les besoins d’une population croissante. En outre, le développement économique rapide des pays émergents a modifié le régime alimentaire des classes moyennes. Cette transition nutritionnelle se traduit notamment par le passage d’un régime alimentaire à dominante de céréales à un régime davantage axé sur les produits issus de l’élevage. Ces populations tendent ainsi désormais à se nourrir d’une quantité importante de matières grasses, de sucres et de graisses saturées provenant principalement de la consommation de produits animaux. Cette tendance devrait se poursuivre puisque la FAO prévoit un doublement de la production de viande et de lait dans le monde à l’horizon 2050. Or, cette production est un important facteur de consommation d’énergie (il faut vingt fois plus d’énergie pour produire 1 kg de bœuf que pour produire 1 kg de blé), d’eau (il faut dix fois plus d’eau pour produire 1 kg de bœuf, soit 15 000 litres d’eau, que pour produire 1 kg de blé), de déforestation, de pollution des sols et de l’eau, et d’émissions de gaz à effet de serre (la production de viande émet plus de GES que le secteur des transports).

Comment produire plus de nourritures sans un impact environnemental fort ? Les projets innovants sont très nombreux de ce point de vue. Il s’agit en premier lieu de produire de la viande sans nécessairement avoir recours à des animaux. L’option « végétarienne » consiste à produire un steak végétal à base de protéines de pois comme le fait la société française Sotexpro, ou du blanc de poulet à base de protéines végétales comme le fait la société Beyond Meat. Il en est de même pour d’autres produits issus de l’élevage, comme des œufs remplacés par une combinaison de protéines végétales (pois jaunes du Canada) ou encore du fromage à base de lait d’amande de la société Lyrical Food.

Mais d’autres entreprises ou laboratoires vont plus loin. Ils entendent « créer » de la viande sans avoir recours à des animaux. Ainsi, Ethan Brown, le PDG de Beyond Meat explique que « nous posons une question de base : qu’est-ce que la viande ? Si vous répondez spontanément, c’est de la chair de bœuf, de poulet, de porc, etc. Mais si vous cherchez une réponse scientifique à la question, la viande ce sont des acides aminés, des lipides, de l’eau, des hydrates de carbone et des minéraux. C’est un ensemble agencé d’une certaine façon, que nous comprenons. Nous voyons l’architecture de l’édifice, nous en avons les plans. Et nous allons réassembler ces cinq éléments de façon à ce qu’ils aient la même structure que celle de la viande ».

La société Modern Meadow aspire ainsi à « créer » de la viande avec une imprimante 3D via le procédé de la bio-impression. Elle récupère des cellules souches d’un animal qu’elle développe ensuite. Une fois multipliées, ces cellules sont alors stockées dans une cartouche d’impression. Lorsqu’elles sont imprimées, les cellules tendent à fusionner naturellement et forment un tissu vivant.

Un premier hamburger « in vitro » a été également élaboré par des chercheurs de l’université de Maastricht en 2013. Il s’agit d’une viande synthétique conçue dans un laboratoire à partir des cellules souches prélevées dans les muscles de bovins adultes. Ces cellules sont en mesure de se reproduire et de former des fibres musculaires. Ensuite, elles se développent et prolifèrent dans un incubateur pour former un tissu musculaire solide. La viande a été « fabriquée » en l’espace de trois mois. Il est à noter que la montée en puissance du débat autour du bien-être animal dans les pays développés, qui tend à montrer du doigt la souffrance des animaux dans le cadre de l’élevage intensif, contribue aussi grandement à favoriser une telle option. Bien évidemment, deux questions-clés se posent à propos de ces innovations : pourra-t-on passer à une phase industrielle favorisant une réduction des coûts de « production » et quel sera le degré d’acceptation de la part des consommateurs, en fonction du coût, du goût de la « viande », de sa texture ou de son impact potentiel pour la santé ?

Pour produire de la viande avec un moindre impact environnemental, une autre technique innovante, mais très controversée, est de recourir aux animaux génétiquement modifiés (AGM). Il s’agit d’une technologie qui permet une « modification du matériel génétique du micro-organisme, de la plante ou de l’animal concerné en ajoutant, modifiant ou supprimant certaines séquences d’ADN afin de modifier les caractéristiques de l’animal ou d’introduire une nouvelle caractéristique – par exemple la résistance à une maladie ou une croissance accélérée – de façon prédéterminée » (Autorité européenne de sécurité des aliments).

Pour le moment, aucun animal génétiquement modifié n’est commercialisé dans l’UE. Il en existe néanmoins en Amérique du Nord, même si leur commercialisation n’a pas été encore autorisée à ce jour. Ainsi, au Canada, le projet Enviropig a permis de « créer » un porc transgénique, dont les déjections produisent moins de phosphore que les porcs non transgéniques. Or, celui-ci contribue en particulier à la prolifération des algues vertes. Les AGM peuvent avoir d’autres utilités aux yeux de leurs créateurs, comme de permettre à ces espèces de croître plus rapidement que les animaux « naturels » – c’est le cas d’Aquadvantage, un saumon transgénique produit par la société américaine Aquabounty Technologies, dont la croissance est plus rapide que dans la nature notamment grâce à un gène d’anguille : il devient adulte en 18 mois et non plus en trois ans pour les saumons sauvages – ou encore être immunisé face à certaines maladies : en Grande-Bretagne, une équipe de chercheurs a développé un projet de poulet transgénique résistant à la grippe aviaire.

Au-delà de la viande
Une solution alternative consiste à se nourrir d’une viande d’animaux moins communs. Ce sont toutes les innovations qui tournent autour de la consommation d’insectes comestibles. Cette consommation est notamment encouragée par la FAO en raison de leur grande valeur nutritive : les insectes sont riches en graisses, en vitamines et en minéraux et leur teneur en protéines est proche de celle de la viande traditionnelle. Plus de 1900 espèces d’insectes sont d’ailleurs comestibles et consommées dans le monde : coléoptères (scarabées, etc.), chenilles, abeilles, guêpes, fourmis, sauterelles, criquets, grillons, termites, punaises, cigales, etc. Ils peuvent être consommés soit directement, soit sous la forme d’une pâte. Par ailleurs, l’impact environnemental de la production d’insectes est beaucoup moins important que la production de viandes traditionnelles. Des entreprises se sont ainsi spécialisées dans ce secteur, comme la société française Micronutris, qui se présente comme la « première société européenne spécialisée dans l’élevage et l’élaboration de produits à base d’insectes comestibles destinés à l’alimentation humaine ». Elle commercialise notamment des biscuits, des chocolats et des macarons avec des insectes. Il en est de même des sociétés Exo Protein ou Ynsect. Ce recours aux insectes est notamment prônée pour les pays du Sud où environ deux milliards de personnes s’en nourrissent déjà et alors même qu’un peu plus de 800 millions de personnes sont actuellement sous-alimentées dans le monde et quelque deux milliards souffrent d’un déficit en micro-nutriments (minéraux, comme le fer, l’iode ou le zinc, et vitamines A, B et C). Une expérience intéressante, appelée Toumou’Délice, a été tentée en 2014 au Burkina Faso. Il s’agit de sachets de chenilles fraîches précuites qui ont à la fois une excellente qualité nutritionnelle et une durée de conservation assez longue (18 mois) dans le but d’habituer la population locale à manger ce type de nourriture et de lutter aussi contre la malnutrition qui sévit dans le pays.

La solution la plus radicale semble être néanmoins l’idée d’une poudre nutritive susceptible de se substituer à toute autre forme d’alimentation et en particulier à la viande. C’est le cas de la poudre nutritive de la société Soylent. Il s’agit d’une poudre blanche que l’on mélange avec de l’eau et qui est censée contenir tout ce dont le corps humain a besoin : vitamines, minéraux, acides aminés, calories, mais aussi du gras – de l’huile d’olive et un peu d’huile de poisson…  – et aucune des toxines qui se trouvent dans de nombreux aliments. Elle peut être consommée à la place de toute autre forme d’alimentation. Elle est aussi jugée économique par son créateur, le jeune ingénieur américain Rob Rhinehart, puisqu’elle s’élève à trois dollars par repas ou à 100 dollars par mois.

*

La consommation d’insectes et d’algues nous rappelle que les ressources de Dame Nature sont loin d’être épuisées, et que nos habitudes alimentaires peuvent évoluer rapidement. Le sushi s’est imposé en une génération – qui auparavant aurait accepté l’idée de manger du poisson cru ? Avec les produits transgéniques et la viande de synthèse, l’humanité se déplace encore d’un cran vers une artificialisation des produits qu’elle consomme. Mais là encore c’est une histoire longue qui trouve de nouveaux développements : il y a 10 000 ans, les épis de maïs, de blé ou de riz n’avaient rien de commun avec ceux d’aujourd’hui. Quant au bœuf, aux poulets et aux cochons, ils n’existaient pas. L’histoire s’accélère mais, surtout, elle continue.

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