Des cyclotrons contre le cancer

Photo Adrien Reymond / Directeur général, PETNET Solutions / February 17th, 2014

Des avancées technologiques significatives, des applications de plus en plus nombreuses, un processus industriel parvenu à maturité, autant de facteurs qui ont dopé le marché de la médecine nucléaire. Directeur du premier site de production français de PetNet Solutions, Adrien Reymond analyse le formidable développement du fluor 18, le radio-marqueur le plus utilisé dans l’imagerie médicale nucléaire. Il décrit le processus de fabrication sophistiqué et très sécurisé de cet isotope radioactif du fluor et esquisse l’avenir de la médecine nucléaire.

ParisTech Review – La médecine nucléaire a considérablement évolué au cours des dix dernières années. Elle connaît un fort développement dans le monde entier. Quelle est l’origine de cet essor?

Adrien Reymond – Cette évolution s’explique par les fonctionnalités offertes aujourd’hui par l’imagerie médicale nucléaire, et plus particulièrement par la tomographie à émissions de positrons (TEP). Cet outil qui permet de représenter l’activité des cellules constitue un réel progrès. Il est utilisé, notamment, pour déceler des pathologies se traduisant par une altération de la physiologie normale. L’image fournie permet de comprendre le fonctionnement ou le dysfonctionnement d’un organisme. Grâce à la caméra de l’appareil utilisé par le TEP, il est possible d’obtenir une vision très fine de la tumeur, au millimètre près.

Au-delà du diagnostic, le TEP est également intéressant pour le suivi thérapeutique afin de repérer ce qu’il reste comme lésions après traitement. L’examen est de plus en plus souvent couplé avec un scanner. Le TEP Scan, par exemple, grâce à la fusion de deux images, permet de localiser très précisément les dysfonctionnements métaboliques. Cela permettra aussi, demain, de guider les chirurgiens lors de leurs interventions. Celles-ci, grâce au degré de précision permis par l’imagerie de nouvelle génération, évolueront : elles seront moins intrusives et de plus en plus robotisées.

Pour obtenir l’image désirée, via le TEP, l’injection d’un « radio-marqueur » est nécessaire. La fabrication de ces révélateurs – que l’on assimile à des médicaments – d’un genre nouveau est une activité à part entière, qui n’a pas été prise en charge par l’industrie pharmaceutique mais par les industriels qui ont conçu et fabriqué les différents modèles de TEP aujourd’hui sur le marché. Siemens, ainsi, s’est très tôt diversifié dans la production de ces médicaments permettant de faire fonctionner ses appareils : dès 1995, l’entreprise a racheté une société américaine spécialisée dans ce domaine et l’a beaucoup développée.

Depuis 2012, cette société, PETNET Solutions, dispose d’une filiale en France. Elle y fabrique le fluorodésoxyglucose, appelé aussi FDG. Pouvez-nous nous en dire un peu plus sur ce médicament utilisé pour les examens par le TEP et à quoi sert-il?

95% des examens TEP en médecine nucléaire se font aujourd’hui avec du FDG. Ce médicament est composé d’un atome radioactif (le fluor 18) et d’une molécule vectrice.

Le fluor 18 est un isotope radioactif du fluor, qui a pour particularité d’avoir une demi-vie d’un peu moins de deux heures. Cela signifie qu’en deux heures, la moitié des atomes radioactifs se seront désintégrés (et donc après une douzaine d’heures il n’en reste que quelques millièmes).

C’est cette désintégration qui nous intéresse, car elle émet des positrons, et c’est ce rayonnement qui va permettre de constituer l’image médicale. En se désintégrant, les atomes de fluor 18 donnent de l’oxygène, un élément qui, en petites quantités, ne perturbe pas l’organisme.

Dans la nature, il n’existe que du fluor 19, qui n’est pas radioactif. Mais on peut produire différents isotopes. Pourquoi le fluor 18 ?

Les isotopes plus lourds (fluor 21, par exemple) se dégradent en néon, un produit dangereux pour l’organisme. Les plus légers ont une demi-vie de l’ordre de quelques minutes seulement, ce qui les rend inexploitables pour l’imagerie médicale.

Le principe de cette opération, en effet, c’est que les atomes radioactifs aient eu le temps de se fixer sur la tumeur, afin de nous aider à en repérer les contours lorsque les atomes se désintègrent. Pour cela ils ont besoin d’un vecteur. Dans le cas du FDG, le vecteur est tout simplement du sucre. Ce dernier permet de mettre en évidence le dysfonctionnement métabolique des cellules cancéreuses. En effet, étant donnée la rapidité et l’anarchie de leur développement, celles-ci consomment beaucoup plus d’énergie et de sucre que les cellules saines. Le fluor 18 radioactif accroché au sucre est accumulé dans les cellules cancéreuses, et il se désintègre en émettant un rayonnement qui est détecté par la caméra du TEP. Cela permet de repérer et de différencier les cellules cancéreuses.

L’oncologie – c’est-à-dire l’étude, le diagnostic et le traitement des cancers – constitue aujourd’hui l’un des principaux champs d’application de l’examen réalisé par TEP avec le FDG. Mais il est également de plus en plus utilisé en cardiologie et en neurologie. Comme en cancérologie, le FDG permet de mettre en évidence d’autres dysfonctionnements. En neurologie, par exemple, l’imagerie du cerveau à l’aide du FDG permet d’aider au diagnostic de certaines pathologies de démence. En cardiologie, l’examen offre de précieuses informations aux médecins, permettant la mise en place de traitements personnalisés.

Comment produit-on le fluor 18?

unedoseF18 FDGIl s’agit d’un processus sophistiqué, mené dans un laboratoire, mais dont la nature est bien industrielle, ne serait-ce que par les volumes produits : chez PETNET Solutions, nous produirons cette année 20 000 doses. Le poids d’une dose (hors excipient) est de l’ordre du milligramme, et les radiations qu’elle émet, mesurées en mégabecquerels, font l’objet d’un dosage très précis. Cette production extrêmement sensible exige du matériel de pointe.

Le laboratoire abrite deux cyclotrons, qui sont des accélérateurs de particules. Les cyclotrons sont pilotés à distance via deux ordinateurs. Pour produire le fluor 18, on n’utilise pas du fluor 19. On utilise de l’eau enrichie avec de l’oxygène 18 – l’oxygène est un élément voisin du fluor dans la classification périodique (on pourrait aussi utiliser du néon). Les noyaux d’oxygène 18 sont bombardés de particules légères accélérées (en l’occurrence, des protons) ; une réaction nucléaire a lieu, qui les transforme en fluor 18. Après deux ou trois heures d’irradiation, le fluor 18, qui est radioactif, est transféré dans l’isolateur de synthèse. Le fluor 18 est alors amené dans un réacteur où nous y réalisons une substitution nucléophyle pour venir fixer l’isotope sur une molécule de glucose. Il s’agit d’une étape entièrement automatisée. Les portes des isolateurs sont en plomb, d’une épaisseur de 75 mm afin de protéger des radiations.

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Un cyclotron

Le stade suivant est une étape de purification. Une fois synthétisé, le FDG peut être transféré vers des isolateurs de distribution. La solution est alors diluée afin qu’elle corresponde aux caractéristiques imposées les autorités de santé pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché. Puis elle est répartie dans les flacons, en respectant les spécifications commandées par les clients. Toutes ces manipulations sont automatisées ou se font à distance, à l’aide de pinces. Le flacon tombe ensuite automatiquement dans un pot plombé. Le premier exemplaire de chaque production est envoyé au contrôle qualité pour être analysé. La conformité du produit y est vérifiée. Cette analyse dure environ 30 minutes. Lorsque le pharmacien donne son feu vert, les colis partent vers les clients.

Nous produisons en moyenne trois lots chaque nuit. Cette production est marquée par les exigences du flux tendu. Le cyclotron démarre aux alentours de minuit et demi. A cinq heures du matin, les produits sont prêts à partir pour la livraison. Ainsi nos clients – les services de médecine nucléaire des hôpitaux ou des cliniques – peuvent en disposer dès le début de la journée. La singularité du FDG est qu’il a une durée de vie d’une douzaine d’heures. C’est pourquoi nous avons installé sur notre site parisien deux cyclotrons. Cela nous permet de ne pas subir les arrêts de production dus aux opérations de maintenance et de mettre deux productions en route en parallèle. Cela assure à nos clients et aux patients une meilleure fiabilité.

Quelle est la croissance du marché du FDG?

Les premières productions de fluor 18 sont sorties des laboratoires il y a trente ans. Mais le médicament n’est utilisé à grande échelle que depuis le milieu des années 2000. On assiste aujourd’hui à une explosion de la demande et à l’augmentation du nombre de sites de production. En France, par exemple, 240 000 patients bénéficient d’injection de FDG en France, et le pays dispose d’une quinzaine de cyclotrons. A Lisses, la première année, PETNET Solutions a produit 4000 doses de FDG. Nous en fabriquons aujourd’hui cinq fois plus. L’installation d’une quinzaine de nouvelles caméras TEP devrait être autorisée, en France, d’ici quatre ans. Elles vont encore accroître la demande. Et le même mouvement s’observe dans le reste de l’Europe, ainsi que dans les grands pays émergents.

L’activité s’est d’abord développée aux Etats-Unis, mais elle s’est s’étendue au reste de la planète. PETNET Solutions, par exemple, exploite aujourd’hui 55 sites dans le monde et a installé plus de 200 cyclotrons. Nous nous développons aussi en Asie et en Inde. La précision du diagnostic, les indications que peut livrer l’examen par TEP et ce qu’il met en évidence au plan métabolique offrent des perspectives de croissance importantes.

Existe-t-il d’autres applications possibles de la médecine nucléaire?

Oui, absolument. Par exemple, à Lisses, nous produisons aussi d’autres molécules comme du fluorure de sodium (FNa) utilisé pour les pathologies osseuses, ainsi qu’un marqueur de la plaque amyloïde, produit en partenariat avec le laboratoire Lilly, qui met en évidence des signes précurseurs de la maladie d’Alzheimer. Enfin, nous travaillons également à la production d’un marqueur de l’angiogénèse qui détecte la revascularisation de certaines tumeurs (les tumeurs malignes ont pour particularité, du fait de leur croissance pathologique, d’être fortement vascularisées).

L’enjeu est de développer de nouvelles molécules qui mettent en évidence des dérèglements métaboliques, ouvrant la voie à de nouvelles applications. Les produits de demain seront sans aucun doute le fruit d’une collaboration entre le corps médical, qui attend un traitement pour soigner une pathologie précise, les centres de recherche et de développement des grands laboratoires pharmaceutiques et les industriels fabricants de matériel médical.

De plus en plus, les laboratoires s’appuieront sur l’imagerie fonctionnelle pour valider l’intérêt des nouvelles thérapies proposées. Le but est de mieux orienter les traitements.

Le secteur de la médecine nucléaire a-t-il créé de nouveaux métiers?

Oui, et ce sont des métiers très qualifiés, qui se partagent les différents segments de la chaîne – de la production, que je vous ai décrite, à l’utilisation. À l’hôpital, au sein des départements concernés, le personnel est spécialisé. Les manipulateurs radio reçoivent les patients, injectent les produits et font fonctionner l’appareil. Les radio-physiciens sont responsables du calibrage des équipements. Le médecin nucléaire, lui, interprète les résultats de l’examen. Par ailleurs, un cursus spécifique a été créé il y a environ 15 ans au sein de l’Internat en Pharmacie. Les radio-pharmaciens sont responsables de la libération du produit et engagent leur signature sur la conformité des lots fabriqués. Côté industriel, les techniciens de production et les ingénieurs cyclotron s’occupent de la maintenance de l’équipement de production.

Comment voyez-vous le développement de la médecine nucléaire dans les vingt prochaines années?

Il y a 20 ans, il était impossible d’imaginer les applications que nous utilisons aujourd’hui. L’imagerie nucléaire était encore très limitée. Pour obtenir une image d’une thyroïde qui fait quatre centimètres de hauteur sur trois centimètres de large, il fallait une demi-heure. Aujourd’hui, nous l’obtenons en moins d’une minute. Il y a 20 ans, la plupart des marqueurs existaient déjà mais les ordinateurs trop lents et peu perfectionnés qui pilotaient la caméra ne nous permettaient pas d’obtenir une image de qualité. Comme les autres méthodes d’imagerie, la médecine nucléaire progressera donc en fonction de l’évolution des machines. Dans 20 ans, les ordinateurs travailleront dix fois plus vite. Nous allons aussi gagner en précision. Le but est de s’approcher d’une résolution millimétrique permettant de visualiser des mécanismes métaboliques de très petite taille.

À terme, la frontière entre radiologie et médecine nucléaire va-t-elle s’estomper?

Oui, ce sont des disciplines qui sont de plus en plus intégrées, aussi bien chez les fabricants de matériel que chez les utilisateurs. Il est probable que, dans dix ans, les images issues du scanner, de l’IRM et du TEP seront superposées et s’effectueront à l’aide d’un unique appareil. C’est déjà le cas avec certains appareils comme le TEP-IRM, mais le principe devrait se généraliser. Chacune de ces techniques produit des informations spécifiques, les unes sur la structure des organes, les autres sur leur fonctionnement. La combinaison de ces différentes informations en une seule image a commencé et c’est assurément dans cette direction que l’on s’orientera.

Pour le plus grand bien des patients, car non seulement les diagnostics seront plus précis et plus rapides, mais cela permettra de réduire le nombre des opérations intrusives. Les gains de précision vont dans le même sens : ils permettent de réduire les doses et de cibler au plus près les zones à étudier. Dans le cas de certaines pathologies tumorales pour lesquelles les examens sont fréquents, c’est un point très important, et qui doit être souligné : la médecine du futur, tant dans la partie diagnostic que dans la partie thérapeutique, sera probablement de moins en moins dommageable pour l’organisme. C’est une évolution récente, qui marquera sans aucun doute les décennies à venir.

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