L’heure des métros automatiques a-t-elle sonné?

Photo Francois Gerin / Directeur général adjoint, Siemens SAS / January 5th, 2012

Les premiers métros automatiques ont commencé à circuler il y a plus de trente ans. Aujourd'hui, de nouveaux projets sont lancés et certaines lignes anciennes sont automatisées. Derrière ces choix, il y a des contraintes techniques et des arbitrages économiques. Les avantages du métro automatique valent-ils les investissements consentis?

D’où viennent les métros automatiques?
François Gerin: Si des expériences de métro semi-automatiques ont été menées aux Etats-Unis dès 1959, tout a vraiment commencé avec le projet VAL, imaginé à la fin des années 1960 et mis en œuvre par Matra Transport dans le nord de la France, pour relier en 1983 Villeneuve d’Ascq et Lille. L’acronyme VAL vient de là, et il a été repris pour signifier ensuite “véhicule automatique léger”. C’était une véritable révolution, un projet très en avance sur son temps. D’autres villes ont suivi, comme Toulouse, Rennes, et on a vu des développements à l’international, par exemple à Chicago, Turin ou Séoul. Parallèlement, d’autres industriels ont commencé à concevoir des métros automatiques, comme le Canadien Bombardier, qui a fourni la ligne interne de l’aéroport JFK de New York. Mais les industriels qui ont développé cette activité sont aujourd’hui peu nombreux, car les compétences mobilisées sont très pointues et le marché est encore en phase de maturation.

Les premiers métros automatiques étaient “légers”, c’est-à-dire qu’ils avaient un gabarit modeste (largeur et longueur de rames). En octobre 1998, alors que Matra Transport rejoignait le groupe Siemens, a eu lieu une autre première mondiale: la ligne 14 du métro parisien, un métro lourd celui-ci, circulant également sur pneus, mais avec un gabarit adapté aux besoins d’une capitale. Le principal avantage de ce modèle est une capacité bien supérieure. Ayant ouvert le service avec 150000 passagers par jour, on est aujourd’hui à 500000 sans que la ligne soit saturée pour autant.

En termes de fiabilité et de capacités, le métro automatique présente des avantages très nets pour des liaisons prioritaires et fréquentées. C’est ce qui explique par exemple que la technologie Siemens ait été retenue dans de grandes villes comme Barcelone ou São Paulo. C’est aussi dans les aéroports que l’on rencontre aujourd’hui beaucoup de transports automatisés mais, pour l’essentiel, il s’agit d’une circulation hectométrique, qui ne dépasse pas quelques kilomètres. Les métros urbains, eux, parcourent jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres. Cela représente des contraintes techniques et des modes de régulation sensiblement différents, avec notamment un plus grand nombre de rames, mais aussi d’autres possibilités de moduler la vitesse.

Les métros automatiques urbains ne sont pas encore très nombreux: on en compte à peine une trentaine dans le monde. Mais des projets émergent et leur nombre est sans doute appelé à grandir rapidement car ils offrent des solutions pertinentes pour imaginer la ville de demain.

Plus précisément, que demandent les opérateurs qui se tournent vers ce type de solution?
Un des avantages est évidemment de pouvoir circuler en continu, sans pour autant mobiliser beaucoup de personnel – même si une surveillance humaine à distance reste bien sûr nécessaire. Mais l’intérêt d’une ligne automatique réside surtout dans la flexibilité de son exploitation. Il est en effet très simple d’augmenter rapidement la fréquence, c’est-à-dire le nombre de passages par heure sans devoir mobiliser du personnel supplémentaire. Par ailleurs, la fermeture complète des quais limite considérablement les risques d’objets ou malheureusement parfois de voyageurs sur les voies. Il faut noter aussi l’optimisation des conditions de conduite que permet l’automaticité, aussi bien dans la modulation de la vitesse que dans la gestion automatisée d’éventuelles situations d’urgence. Dans de telles conditions on peut se permettre d’augmenter la fréquence des passages tout en conservant des normes élevées de sécurité et de sûreté.

Pour des lignes qui seraient saturées en exploitation normale, le métro automatique offre ainsi des capacités supplémentaires. Cela peut amener des opérateurs à programmer la transformation de lignes classiques saturées en lignes automatiques. C’est par exemple ce que la RATP est en train de réaliser sur la ligne 1 du métro parisien, qui accueille aujourd’hui plus de 700000 voyageurs par jour. Dans ce cas, le passage à l’automatique permet de diminuer sensiblement le délai entre deux trains, ce qui augmente naturellement les capacités et améliore le service aux voyageurs, aussi bien en termes de fréquence, de régularité que de fiabilité.

La gestion optimale de la vitesse permet de meilleures performances, tout en consommant moins d’énergie (de 10 à 15% de moins sur la facture totale d’électricité). La conduite automatique, plus régulière, use aussi moins les matériels et elle permet d’utiliser l’énergie récupérée au freinage d’une rame pour aider une autre à démarrer, de façon organisée. Enfin, cela va de pair avec d’autres améliorations: la plus grande fréquence permet d’optimiser l’occupation du train (avec des voitures réunies pour former un seul espace), la mise en place de portes palières limite les risques d’accidents et d’incursions sur la voie, ce qui permet au train d’arriver plus vite dans une station. C’est d’ailleurs une innovation qui a été reprise pour certaines lignes classiques très fréquentées.

Au total les trains circulent plus vite et de façon plus fluide. Ils sont également, s’il le faut, plus fréquents, et le confort des voyageurs s’en trouve amélioré. Sur la ligne 1, on aura ainsi en heure de pointe un train toutes les 95 secondes, une performance bien supérieure à celle de la ligne classique exploitée jusqu’ici.

Il faut aussi pointer le fait que sur ces lignes très fréquentées, les conducteurs subissent un stress très élevé. Cela explique que les syndicats, qui auraient pu voir d’un mauvais œil les conversions d’emplois liées à ce type de transformation, aient accepté d’en discuter et de trouver des solutions.

L’automatisation d’une ligne classique ne pose-t-elle pas des problèmes?
Oui, et même si on pouvait en anticiper certains l’expérience que nous avons acquise permet aujourd’hui d’en avoir une idée plus précise. Prenons la ligne 1 parisienne, qui se trouve être la plus ancienne du réseau actuel. Si une partie de son parcours est rectiligne, certaines sections présentent des courbes très serrées, et nos ingénieurs sont bien obligés de s’en accommoder: cela représente des contraintes en termes de vitesse, avec une gestion fine des ralentissements et des accélérations en entrée et en sortie de courbe. La question de la stabilité des voyageurs a été prise en compte par les constructeurs de la ligne, bien entendu, mais en partant d’une conduite manuelle. Nos ingénieurs doivent donc travailler à trouver une solution optimale, dans un cadre qui n’était pas prévu au départ pour les possibilités du métro automatique.

Mais la transformation d’une ligne classique pose aussi des problèmes opérationnels. En outre, la mise en place des nouvelles rames et des équipements qui y sont liés pourrait perturber la circulation des trains. Automatiser une ligne aussi chargée n’allait pas de soi, et c’est là encore une première mondiale. Il a fallu travailler la nuit et le weekend, notamment pour effectuer les premiers essais sans voyageurs. Et si les premières rames automatiques ont commencé à circuler le 3 novembre dernier, pendant encore un an il faudra gérer la cohabitation entre les deux systèmes. Ce qui est, en soit, un défi technique!

Passons à la technique, précisément. Peut-on distinguer le travail sur les matériels et celui sur les systèmes d’exploitation, entre le hardware et le software en quelque sorte?
Les deux sont liés, mais je dirais que le cœur du métier tient dans le système d’exploitation de la ligne. En tout cas, dans un projet donné, c’est ce sur quoi nous travaillons en premier, sachant que les performances des matériels sont relativement bien connues et délimitent le champ des possibles. Il arrive d’ailleurs que sur certains projets, nous ne soyons sollicités que comme concepteur du système d’exploitation, et que la commande des matériels fasse l’objet d’un autre appel d’offre.

Si la conception des systèmes reste notre cœur de métier, c’est aussi que certaines questions, comme la gestion automatisée des freinages d’urgence, nécessitent un travail très fin, qui est d’abord de ce domaine des systèmes. La même question se pose d’ailleurs dans les lignes à grande vitesse, même si, chez Siemens comme chez ses concurrents, il s’agit de départements distincts.

Les matériels évoluent. Jusqu’à quel point cela modifie-t-il le travail de conception du système d’exploitation?
L’ensemble du modèle peut s’en trouver bouleversé – et cela ne tient pas seulement à la technologie utilisée pour fabriquer les rames. Je vais vous donner un exemple. Il y a trente ans, lorsqu’on a commencé à faire circuler les premiers VAL, le coût des tunnels rapporté au nombre de voyageurs à transporter était dirimant et le standard en vigueur, pour la largeur des rames, était de 2,10 m seulement. Aujourd’hui, les tunneliers ont fait des progrès, et on peut ainsi fabriquer des rames de 2,80 de large. Cela ne concerne pas seulement les voyageurs, mais aussi nos ingénieurs: car avec cette largeur on peut concevoir un train sur pneus avec un guidage central par rail. C’est donc l’ensemble des performances du train, et par conséquent des paramètres de l’exploitation, qui peut s’en trouver changé.

Cela offre aussi des possibilités différentes en matière de jonction des voitures, et donc de modulation de la longueur des rames, de deux voitures en heures creuses jusqu’à huit en heures de pointe. Ce qui permet d’économiser de l’énergie, ou encore de répartir différemment la charge, en offrant une plus grande fréquence sans pour autant consommer davantage d’électricité.

Le projet de métro léger entre Orly et Versailles, sur lequel nous travaillons aujourd’hui, serait ainsi exploitable sur une base d’un train toutes les 2 mn 30, ce qui offre aux voyageurs un service remarquable en termes de fréquence.

Ce projet a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pourquoi, dans un environnement semi-urbain et sur une ligne de 35 km, cette proposition d’un métro léger, quand spontanément on penserait davantage à un train plus lourd de type RER?
C’est à la fois une question économique et une question technique. Le métro automatique léger sur pneus peut monter des pentes importantes, jusqu’à 10 ou 12%. Alors que le métro lourd sur fer est limité à des pentes de 5%. Avec un métro léger, on peut donc rester plus près de la surface sur un tracé accidenté comme celui aboutissant au plateau de Saclay, ce qui représente une économie significative en termes de coûts (on passe de quelque 3 à moins de 2 milliards d’euros), et permet aussi de prévoir plus de gares.

L’un des enjeux est la durée du chantier: sur une ligne de métro lourd, enfouie plus profondément, un tunnelier progresse de 3 km par an, et on ne peut faire appel qu’à deux tunneliers au plus. Sur 35 km, il faudrait au minimum cinq ans pour simplement creuser le tunnel. Au lieu que le métro léger permet d’articuler du souterrain en tranchée couverte et de l’aérien, ce qui permet de faire travailler plusieurs constructeurs sur plusieurs endroits différents, et donc d’aller plus vite.

Mais il y a aussi l’offre d’une meilleure desserte: au lieu d’une seule gare, très profonde, sur le plateau de Saclay, et accessible par un système de transports en commun, on peut ainsi prévoir trois stations, où les voyageurs pourront majoritairement se rendre à pied. Ces différents éléments, articulés à la fréquence élevée des trains, représentent une différence significative en termes d’usages: ils inscrivent le projet dans un mode de fonctionnement urbain.

D’autres choix sont possibles, et on a même évoqué une simple ligne de bus en site propre. Les arbitrages tourneront sans doute autour des coûts d’investissements et d’exploitation, et s’il se défend bien en termes de coûts d’exploitation le métro automatique léger représente assurément un investissement significatif. Mais c’est aussi un choix d’aménagement sur la durée: si l’enjeu est de créer de la ville, de favoriser la circulation entre les différentes écoles, universités, laboratoires, entreprises et zones résidentielles implantées sur le plateau, le métro automatique offre de réels avantages. L’un des enjeux de ce projet, qui est apparu avec force dans le débat public, c’est de faire vivre le campus. Or cela n’a rien d’évident, notamment dans un contexte français où nous n’avons pas vraiment cette culture. Le faire vivre, et le relier à Paris. Si l’on veut convaincre des chercheurs ou des étudiants étrangers de résider sur le campus, cela peut avoir du sens de leur proposer des modes de déplacement dignes de ce nom – je ne sais pas si vous avez déjà attendu un bus sous la pluie à onze heures du soir, mais ce n’est pas forcément ce dont rêve un universitaire américain venu passer un semestre en France.

Sur quel modèle économique repose ce type de projet?
Chaque offre a le sien, mais grosso modo ce qui se dégage est fondé sur une série de partenariats, correspondant à l’articulation de différentes compétences. Dans notre cas, nous travaillons en consortium avec la RATP, pour son expérience dans l’exploitation des réseaux, et avec Bouygues, sur les projets de génie civil.

Au-delà des configurations précises (type de partenariat, place respective des investisseurs publics et privés, choix de loyers fixes ou d’une exploitation en concession), on peut se poser la question du sens des investissements. Cela demande à être discuté, c’est précisément pour cela qu’un ambitieux dispositif de débat public a été mis en place autour de ce projet. Cela devrait permettre de faire remonter des idées, au-delà des intérêts organisés qui s’expriment depuis longtemps. L’idée est d’élargir les représentations.

Par exemple, on peut imaginer d’associer au transport de voyageurs une activité de fret, nommée Cargoval. Cela ne présente pas de difficultés majeures sur le plan technique: il s’agit simplement de poser des conteneurs du type utilisés dans les transports aériens sur les plateformes roulantes des voitures de métro. On peut imaginer des Cargoval de jour (sans perturber le reste du trafic), de nuit, ou des voitures en queue de train, en isolant une section de quai. Cela exigerait de prévoir des circuits de remontée des marchandises et de gérer la question du dernier km, par exemple en camionnette électrique. Des acteurs locaux sont intéressés, et par ailleurs ce serait l’occasion d’expérimenter un mode alternatif de transport de marchandises en milieu urbain, qui pourrait se développer ensuite.

Là encore, cela représente un coût. Mais c’est aussi un modèle économique à explorer, dans le cadre d’un schéma de transport différent, orienté vers le développement durable. Ce projet a un caractère de référence, et cela implique d’assumer une dimension d’innovation et d’expérimentation.

On dit souvent que le transport se situe dans une logique d’offre. On ne peut pas vraiment mesurer la demande, et celle-ci apparaît bien souvent du fait de l’offre. A Rennes, ainsi, la ligne automatique a été prévue sur la base d’une utilisation estimée à 70000 voyageurs par jour, et on est aujourd’hui à 120000. Le report modal, c’est-à-dire le passage d’un mode de transport à l’autre, a dépassé les prévisions. C’est ce qu’on peut imaginer sur Saclay, avec une offre ambitieuse, qui puisse révolutionner les usages. Mais ce n’est pas facile à mesurer économiquement. Par exemple, à Saclay, faciliter les contacts entre établissements et entre chercheurs est sans conteste utile, et peut être représenté comme une externalité positive. Mais comment la mesurer? C’est là qu’on passe de l’évaluation économique, où les industriels et les exploitants ont leur mot à dire, à des choix publics qui relèvent des institutions et responsables politiques.

Note des éditeurs: Siemens est mécène de ParisTech Review.

References

BOOKS
  • Le Val de Rennes : Un combat pour la ville
    Jean Normand
    List Price: EUR 12,70
  • The Future of Automated Freight Transport: Concepts, Design And Implementation

    List Price: EUR 93,68
Online
  • Le métro automatique (Jean Provost, Télécom Paris Tech)
  • Une histoire des métros automatiques, depuis les précurseurs semi-automatiques (en anglais)

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